Campagne 2010 : De l’anchois du Pérou au thon rouge de Méditerranée....

Cette semaine, c’est l’ouverture de deux pêcheries d’importance mondiale. Le 13 mai, l’anchois au Nord du Pérou. Le 15 mai, le thon rouge en Méditerranée.… Respectivement 2.500.000 tonnes (1) et 13.500 tonnes de quotas autorisés. Si le thon rouge fait la « Une » des médias, l’anchoveta, le poisson le plus abondant de nos océans intéresse peu les journalistes et les associations environnementales. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur cet anchois du Pérou qui alimente une industrie minotière de plus en plus prospère en liaison avec le développement industriel de l'aquaculture. Un paradoxe que cette activité de transformation du poisson en farine et en huile, à un moment où beaucoup parlent de surpêche, de surexploitation et même de disparition des poissons dans les océans.

Cette pêcherie minotière d’anchois qui pèse près de 10% des captures mondiales, entre 6 et 9 millions de tonnes annuelles, n’est pas près de s’interrompre. D’une part, c’est une pêcherie de plus en plus encadrée et surveillée par les autorités péruviennes. D’autre part, elle est actuellement l’enjeu d’intérêts économiques très importants en lien avec l'élevage intensif d'espèces piscicoles dans le monde.

Avec la privatisation de la ressource halieutique péruvienne sous forme de droits de pêche transférables, les multinationales de la pêche ont maintenant l’opportunité de se partager ce fabuleux trésor ! Chinois, norvégiens et même chiliens font actuellement main basse sur cet anchois du Pérou dans un but essentiellement aquacole. Le monde s’émeut de l’accaparement des terres africaines et latino-américaines par l’industrie des agro-carburants mais personne ne parle de l’accaparement des ressources halieutiques par les différentes filières aquacoles.

D’où le lien entre l’anchois du Pérou et le thon rouge de Méditerranée que cette industrie halio-minoto-aquacole a la ferme intention d’élever en cages.... au grand bonheur des mangeurs de sushi.

De la Course olympique au Quota individuel transférable

L’histoire de l’anchois du Pérou est marquée par une production en dents de scie. Alternance de pêches miraculeuses et de périodes de pénurie. A partir des années 1990, les autorités péruviennes ont d’abord fixé des quotas globaux de captures pour éviter la surexploitation des stocks d’anchois. La gestion par quota global qui devait réguler l’accès à la ressource, s’est traduite aussitôt par une augmentation du tonnage de la flottille minotière.. « La fixation d’un quota global de capture a abouti à ce que nous avons appelé « La carrera olympica » (Course olympique) pour le poisson » avait expliqué Carlos E. Paredes lors d’un séminaire à l’Imarpe début 2009 : La industria de la anchoveta en el Perú. « L’objectif d’un bateau était de capturer le plus rapidement possible la plus grande quantité possible de poisson. » Telle était la conclusion de l’étude « Les coûts du surdimensionnement de la pêche au Pérou » réalisée par Paredes, chercheur en économie à l'Université de Yale.

« À la fin de l’année 2007, l'industrie minotière péruvienne comprenait une flotte de 1.178 navires pour une capacité totale de cale d'environ 210.000 m3 et 145 usines de farine de poisson pour un potentiel de transformation de 8.909 tonnes par heure, » avait-il expliqué.

D’après ses calculs, une réduction de moitié de la flotte et du nombre des usines aurait permis d'augmenter les profits respectivement de 176 millions et de 229 millions de dollars chaque année. La surcapacité de la flotte était selon lui comprise entre 60 et 78%, et celle des usines de farine de poisson entre 65 et 80%. « Nous pouvons donc en déduire que la capacité actuelle du secteur de la transformation dépasse de 3 à 5 fois son niveau optimal. »

Il expliquait aussi que le système des quotas de pêche individuels, dans la mesure où ils sont transférables, avait beaucoup d'avantages tels que l'élimination de la « Course olympique ». L’optimisation de l'utilisation de chaque navire conduirait à une réduction de la flotte et à l'augmentation du nombre de jours pendant la saison de pêche. Le décret-loi n°1084 adopté le 28 juin 2008 a été la première étape dans cette direction, selon lui..... Une première étape vers une privatisation de la ressource en anchois. Une première étape vers l'accaparement de cette ressource par les multinationales de la pêche.

Une ressource en anchois encadrée….

Campagne 2010 - Pour les zones maritimes « Centre » et « Nord », les règles de la première saison d'anchois (2) ont été annoncées fin avril par le ministre de la production : « Sur recommandation de l’Institut de la Mer du Pérou (IMARPE), cette campagne commencera à partir de 00:00 heures le 13 mai 2010 pour un total admissible de captures de 2,5 millions de tonnes. Date butoir le 31 juillet 2010. » Il a indiqué que le quota était plus faible que la campagne précédente (3,5 millions de tonnes en 2009), mais que cette diminution n'aurait pas d’impact économique sur les entreprises en raison de la hausse très importante des cours internationaux de la farine et de l’huile de poisson. De 900 dollars la tonne au 3e trimestre 2009 à plus de 1900 dollars actuellement. Seafood-today : Ventas de primera temporada de pesca de anchoveta en Perú se incrementarían en 30%

Dans la zone « Sud », la première saison a débuté plus tôt avec des captures nettement supérieures à 2009. Selon IMARPE, les débarquements d'anchois ont déjà totalisé 3,88 millions de tonnes rien qu’au premier trimestre 2010, alors qu’ils s'étaient élevés à 3,85 millions de tonnes entre le 1e janvier et le 8 novembre 2009. Fis : Anchovy catch interrupted

Convoitée par les multinationales de la pêche

En avril 2010, le groupe chinois « China Fishery Group » (à travers sa filiale Pacific Andes) a accru sa présence dans l’anchois du Pérou par l’acquisition de la société péruvienne « Deep Sea Fishing ». Ses parts de captures sont passées de 4,85% à 7,11% au Nord du Pays, et de 5,08% à 7,87% au Sud. Ce qui représente dès lors un droit de pêche de plus de 500.000 tonnes d’anchois chaque année (qui varie naturellement avec le total des captures autorisées fixé d'après les recommandations de l’Imarpe). Commentant l’acquisition de ces quotas supplémentaires, M. Ng Joo Siang, directeur commercial de China Fishery Group, ne cache pas que l’anchois du Pérou est une pêcherie stratégique au niveau international. La suprématie de la Chine dans l’aquaculture mondiale est liée au contrôle du marché de la farine de poisson et l’anchois péruvien en est la principale source d’approvisionnement dans le monde. D'après Thefishsite : China Fishery Purchases Peru Quota. La Norvège, premier pays aquacole en Europe et grand producteur de farine de poisson, adopte la même stratégie que la Chine à travers deux sociétés cotées à la bourse d'Oslo, Copeinca et Austevoll. Actuellement, ces trois sociétés contrôlent près du quart de la production d'anchois péruvien ! Philippe FAVRELIERE (modifié le 16 mai 2010)

(1) ce quota de 2,5 millions de tonnes d’anchois ne concerne que les zones nord et centre des eaux péruviennes et uniquement la première saison de pêche de l’année 2010. Un quota complémentaire est prévu en fin d’année. (2) Les quotas regroupent deux espèces différentes : Engraulis ringens et Anchoa nasus

Le 18 mai 2010 : China Fishery Group passe à la 6e position !

Le groupe chinois, China Fishery Group Limited a annoncé le 18 mai 2010 qu’il était parmi les 6 plus grandes sociétés de farine de poisson au Pérou après l’acquisition d’une deuxième entreprise péruvienne en moins d’un mois. China Fishery Group a pris contrôle de Pesquera Alejandria SAC1 ("Alejandria"), pour un montant de 95,0 millions de dollars US. Ses quotas de pêche passent à 10,91% dans le sud et à 6,05% dans le nord du Pérou (respectivement + 3,04% et + 0,97%). Source : China Fishery snaps up Peruvian anchovy fishing company (Fishnewseu)

Autres articles :

Pour suivre l’actualité économique des pêches au Pérou :

Informations complémentaires :

Pour plus d'informations : L'IRD travaille étroitement avec les chercheurs péruviens

Quand les scientifiques œuvrent pour une pêche responsable au Pérou (Ird)
Les senneurs péruviens, la plus grande flotte du monde pêchant une seule espèce, l’anchois, représentent une capacité trois fois trop importante pour l’exploitation optimale du stock. Des chercheurs de l’IMARPE et de l’IRD pointent du doigt ce déséquilibre, véritable « bombe à retardement » pour le secteur de la pêche au Pérou. En effet, les anchois, sans doute du fait des oscillations climatiques dans le Pacifique, connaissent naturellement des périodes de forte et de faible abondance. Aujourd’hui, les eaux péruviennes en produisent des quantités exceptionnelles. Mais les halieutes annoncent que, d’ici quelques années, cette ressource risque de diminuer très fortement. Afin d’éviter que les stocks de poisson ne s’écroulent, comme lors de la crise des années 1970, le gouvernement péruvien a mis en place, sur recommandation des scientifiques, un quota individuel de pêche. Celui-ci fait déjà ses preuves [...]

Image de wikipedia : Anchois du Pérou (Engraulis ringens)

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