Ancien titre : Gestion des Pêcheries mondiales : Gardons notre sang-froid !
Du sang-froid vis-à-vis des ressources en poissons à sang froid
A l’issue des négociations sur les quotas de pêche 2011, ministres et responsables des pêcheurs européens sont repartis de Bruxelles plutôt satisfaits. Après les coupes sombres du début des années 2000, chacun pouvait rentrer dans son port d’attache rassuré… Rassuré que les efforts consentis depuis plusieurs années donnent des résultats et soient enfin reconnus. Tout n’est pas parfait, les ressources en cabillaud et en hareng souffrent encore. Mais comme l’a souligné Maria Damanaki, Commissaire européenne chargée de la pêche : « Dans l'ensemble, le compromis trouvé représente un progrès non seulement vers des pêches plus durables, mais aussi vers notre objectif d'un rendement maximum durable pour tous les stocks de poisson commerciaux d'ici 2015 ».
Pourtant quelques jours avant le conseil européen des ministres de la pêche, Maria Damanaki en avait refroidi plus d’un et c’est la peur au ventre que ministres et pêcheurs étaient partis à Bruxelles. Etait-elle tombée elle-aussi dans la sinistrose, la psychose transmise par plusieurs organisations environnementalistes ? Pas du tout…
« Pourquoi toutes les pêcheries ne s’effondrent pas ? : Apocalypse retenu !»
Pour prendre un peu de hauteur et s’élever au-dessus des messages alarmistes, Maria Damanaki a très probablement lu l’article de Ray Hilborn, professeur en halieutique à l'Université de Washington : « Why do we keep hearing global fisheries are collapsing ? » publié une semaine avant le Conseil des Ministres (dans Mother Nature Network / The Nature Conservancy).
Pourquoi continuons-nous à entendre que les pêches mondiales s'effondrent ? Certains scientifiques avancent que les stocks mondiaux de poissons sont en voie d'effondrement, mais les données réelles suggèrent le contraire. L’auteur de l’article indique qu’il procède à l'analyse quantitative des données environnementales depuis 30 ans dans une grande variété de lieux (la biotechnologie, les espèces en péril, l'aquaculture, la pêche, etc.). Il déplore qu’en général, la communauté des conservationnistes et des environnementalistes se trompe en tenant des propos alarmistes et apocalyptiques dans l'interprétation des données. /.../ Mais il y a aussi des pêcheries bien gérées dont les médias ne parlent jamais. Et ce sont ces exemples de réussite qui importent /.../ Lorsque des scientifiques extrapolent certaines données pour en conclure que les analyses annoncent de graves menaces pour la sécurité alimentaire dans le monde, pour la qualité des eaux côtières et la stabilité des écosystèmes, de graves menaces qui toucheront les générations actuelles et futures, ils ne font que faire peur et cela paralyse au lieu de favoriser la recherche de solutions. /.../
Il est important que la communauté des experts de la biodiversité et le grand public apprécient rationnellement les messages d'une apocalypse prochaine. Nos pêches maritimes sont trop importantes pour l'économie mondiale et l'approvisionnement alimentaire pour se permettre un gaspillage émotionnel d'énergie. Nos océans demandent des analyses de sang-froid. Pour être juste, il y a des endroits dans le monde où l'effondrement des stocks est peut-être réel. Un diagnostic plus équilibré donne une image différente loin d'être alarmiste. Mais ce diagnostic équilibré est presque entièrement ignoré au profit d'une rhétorique apocalyptique qui obscurcit les vrais enjeux de la pêche. C’est ainsi que Boris Worm et Daniel Pauly sont dans l’erreur. /.../ Or les vues de Pauly ne sont pas universellement acceptées par les scientifiques. /.../ De nombreuses critiques de cette position apocalyptique ont été depuis publiées après le rapport de 2006. /.../ Par exemple, Steve Murawski, directeur des programmes scientifiques et conseiller scientifique a défendu le système de gestion de la pêche des États-Unis et a souligné que la proportion de stocks surexploités aux États-Unis était en baisse /.../ La vraie question est de savoir si les pratiques de pêche actuelles déciment les stocks ou si elles permettent de les reconstruire ? /.../ Il faut identifier les pêcheries qui sont en difficulté et trouver les remèdes pour ces pêcheries. Les données montrent clairement que nous le pouvons. /../ Les affirmations apocalyptiques sont contre-productives - non seulement parce que ces affirmations sont fausses, mais surtout parce qu'elles ne reconnaissent pas le long et dur travail des gestionnaires des pêches, des scientifiques et des intervenants dans les nombreux endroits où la gestion est efficace. Alors que les prêcheurs d’apocalypse ont attiré l'attention du public et la couverture médiatique, des milliers de personnes - décriées par Pauly (2009b) comme des agents de la pêche commerciale - ont travaillé pendant des années et ont pris des décisions douloureuses de réductions de l'effort de pêche avec des résultats notoires maintenant. /.../ (traduction transmise par le réseau pêche durable)
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Ces chercheurs proposent une nouvelle « Philosophie » dans la gestion des ressources halieutiques avec une approche moins sélective de la pêche - Etude publiée en 2010 dans Proceedings of the National Academy of Sciences « Ecosystem-based fisheries management requires a change to the selective fishing philosophy ».
Pour maintenir une bonne productivité des écosystèmes, tout en préservant les ressources halieutiques et la biodiversité marine, Shijie Zhou propose de combiner :
- Réduction de l’effort de pêche,
- Stratégies de pêche moins sélectives et
- Meilleure utilisation des captures.
Pic du poisson = Pic du pétrole !
Du 17 au 21 février 2011, l'Association américaine pour la promotion de la science (AAAS) organise sa conférence annuelle à Washington. Il s’agit du plus grand colloque mondial de science généraliste avec quelque 5.000 participants. Le chapitre « Des terres et des océans » (Land and Oceans) aborde la question halieutique…
Villy Christensen, professeur à l'Université de Colombie Britannique (Canada) a expliqué « Actuellement, beaucoup de poissons sont transformés en farine et huile pour être utilisés comme aliments pour l'industrie aquacole qui dépend de plus en plus de cette source d'alimentation ». « Si cette situation persiste, nos océans risquent de devenir un jour une ferme à produire des aliments pour l'aquaculture », a-t-il mis en garde.
Pour Reg Watson, un scientifique travaillant également à l'Université de Colombie Britannique, il semblerait que l'humanité pourrait avoir déjà atteint un seuil dans l'exploitation de ressources de pêche de la planète. « Il semble que nous consacrons de plus en plus d'énergie et de ressources pour saisir le même tonnage de poissons voire moins ce qui doit être un signe de l'état de santé de l'océan », a-t-il dit lors de cette même présentation. « Nous pourrions en fait avoir atteint un pic pour les poissons au même moment où nous pourrions connaître la même situation avec les réserves de pétrole... », a-t-il noté. Pour donner une idée de la frénésie et de l'ampleur de l'activité de la pêche industrielle dans le monde, ces chercheurs ont calculé l'énergie totale nécessaire pour faire fonctionner les chalutiers et autres bateaux de pêche en 2006. « Nous avons calculé qu'il a fallu utiliser 1,7 milliard de watts d'énergie ou environ 22,6 millions de chevaux pour l'ensemble de l'industrie de la pêche mondiale cette année-là », a indiqué Reg Watson. Source : La surpêche menace d'épuiser les océans dans les prochaines décennies (AFP)
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30 août 2011 : Affrontement des biologistes outre-atlantique !
La guerre des pêches
Y aura-t-il encore des pêcheurs en 2050 ? C'est la question que se posent depuis une quinzaine d'années les biologistes marins. Deux écoles s'affrontent: ceux qui jugent que la surpêche est irréversible ; et ceux qui pensent que la gestion scientifique, notamment aux États-Unis, peut rendre la pêche durable. La bataille entre les deux camps fait des étincelles.
Depuis la fin des années 90, un groupe de chercheurs nord-américains crie sur tous les toits que les pêcheries mondiales se dirigent tout droit vers le précipice. Au milieu du XXIe siècle, préviennent-ils, les pêcheurs du monde devront accrocher leurs filets et trouver un autre métier.
La contre-attaque est venue il y a cinq ou six ans : pour contrer l'«alarmisme» de leurs confrères, des biologistes ont montré que la gestion moderne des pêches peut renverser la vapeur et que, aux États-Unis, l'immense majorité des espèces pêchées n'est plus en danger d'extinction.
Des chercheurs des deux groupes ont récemment tenté de faire la paix. Mais les plus tenaces refusent d'enterrer la hache de guerre. « Ce sont des âneries ! », tonne Daniel Pauly, de l'Université de la Colombie-Britannique, quand on lui demande son avis sur les études optimistes. « Ceux qui disent que la surpêche a été exagérée font le jeu des industriels qui veulent affaiblir les règlements existants et éviter qu'on les resserre dans les pays en voie de développement, notamment en Afrique. »
Selon Gabriella Bianchi, coordonnatrice du secteur des pêcheries à la FAO : «Tout le monde s'accorde à dire qu'il y a un problème grave de surpêche dans la plupart des régions. Mais il existe des pays occidentaux où la surpêche a disparu, et il faut le reconnaître.»
Texte intégral de Mathieu Perreault dans La Presse : La guerre des pêches
Mars 2012
Un régime équilibré : l’UICN propose de repenser la gestion de la pêche
Une étude de l’UICN publiée en mars 2012 dans le journal Science propose de repenser la gestion de la pêche de façon à améliorer la sécurité alimentaire et réduire les effets négatifs de la pêche sur l’environnement.
La nouvelle approche, présentée par un groupe de spécialistes de l’environnement et de la pêche, membres de la Commission sur la gestion des écosystèmes (CGE) de l’UICN, change complètement le cap en matière de gestion de la pêche.
« Pendant des siècles, on a cru qu’une pêche sélective qui évite les jeunes poissons et les espèces rares et emblématiques et préfère les individus plus âgés et de grande taille permet d’accroître les captures et de réduire les impacts sur l’environnement, » dit François Simard, conseiller principal de l’UICN pour la pêche. « Mais en fait les individus plus âgés ont un fort potentiel de reproduction et leur capture altère la structure et le fonctionnement de l’environnement. Elle peut aussi avoir des effets secondaires graves sur le plan de l’évolution et de l’écologie.»
Dans la partie est du plateau néo-écossais, par exemple, la pêche sélective classique a modifié la structure de la chaîne alimentaire du milieu marin et, en Mer du Nord, on observe une proportion croissante d’espèces de plus petite taille.
La nouvelle approche proposée par l’UICN, appelée « prélèvement équilibré », cible toutes les composantes comestibles du milieu marin, de façon proportionnelle à leur productivité.
En effet, lorsque la pêche cible une plus grande diversité d’espèces et de tailles, la capacité de production de l’écosystème est pleinement utilisée. Cette approche améliore la sécurité alimentaire en préservant le potentiel des ressources marines, tout en minimisant les effets négatifs des pêcheries sur l’environnement. Nécessitant une réduction de l’exploitation des stocks de poissons, elle change radicalement notre mode actuel de gestion de la pêche, qui vise la pleine exploitation des populations prises individuellement et entraîne souvent leur surexploitation.
« Le prélèvement équilibré est un mode de pêche sélectif mais, conformément à l’approche axée sur l’écosystème adoptée par la Convention sur la diversité biologique et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il s’agit d’une sélectivité entendue dans une perspective bien plus large que celle utilisée jusqu’à présent, » explique Serge M. Garcia, président du Groupe de spécialistes de la pêche de la CGE de l’UICN. « Au lieu de viser exclusivement l’optimisation des captures d’un certain nombre d’espèces cibles et de tailles sélectionnées, elle a pour but de préserver la structure et la productivité de l’ensemble de l’écosystème ».
Le document est fondé sur une étude comparative de plusieurs types de sélectivité, en utilisant 36 modèles d’écosystèmes différents. Quelques exemples de modes de pêche se rapprochant du prélèvement équilibré ont aussi été trouvés en Afrique, dans des pêcheries artisanales des eaux intérieures du continent.
« Cette nouvelle démarche en matière de pêche peut paraître utopique, car la capacité humaine de gestion des écosystèmes est limitée », dit Jeppe Kolding, membre du Groupe de spécialistes de la pêche. « Mais il s’agit d’une utopie qui permet de mobiliser les énergies dans le bon sens. Nous avons maintenant suffisamment d’éléments qui démontrent que cette nouvelle approche peut accroître considérablement la durabilité de la pêche, réduire son impact sur les écosystèmes et améliorer l’environnement marin aussi bien que la sécurité alimentaire ».
Des questions liées à la gestion de la pêche seront examinées de façon plus approfondie pendant le Congrès mondial de la nature de l’UICN, qui se tiendra à Jeju, République de Corée, du 5 au 15 septembre 2012. Source : IUCN
S. M. Garcia, (Ed.)
IUCN, Gland, Switzerland
2011 International Union for Conservation of Nature and Natural Resources
Report of a scientific workshop organized by the IUCN-CEM Fisheries Expert Group (FEG) and the European Bureau for Conservation and Development (EBCD) in Nagoya (Japan), 14–16 October 2010.
Téléchargement, cliquer IUCN
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Réflexion autour du concept de "pêche équilibrée"
Un collectif international de scientifiques propose un nouveau regard sur la sélectivité de la pêche. Leurs travaux, menés autour du concept d'une « pêche équilibrée », constituent une réflexion pour une meilleure prise en compte de la biodiversité et des écosystèmes dans la gestion des pêches.
Un nouveau paradigme par rapport à la « pêche sélective » conventionnelle...
« Dans le monde, la gestion des pêches a beaucoup misé, outre les quantités pêchées, sur l'augmentation de la sélectivité : on cible les espèces d'intérêt commercial, et en jouant sur l'engin ou sur la taille des mailles du filet, on sélectionne les plus grands individus pour permettre la croissance des jeunes et les laisser participer à la reproduction. Or, cette pêche sélective ne s'intéresse qu'au contenu du filet et à sa valeur potentielle. L'idée développée dans l'article, c'est de rapporter les captures dans une zone donnée à ce qui est « au fond » : la composition de l'écosystème marin », explique Marie-Joëlle Rochet, chercheur halieute à l'Ifremer : « On passe alors d'un point de vue économique et utilitaire, à un point de vue écologique ».
Contrairement à la vision conventionnelle de la pêche sélective, qui s'attache à prélever uniquement les plus grands individus de certaines espèces et à limiter les prises accessoires et les rejets, la pêche équilibrée vise à ce que les prélèvements par la pêche reflètent les proportions naturellement présentes dans l'écosystème, en diversité de tailles comme d'espèces.
... mais une vision commune : l'exploitation modérée des ressources
Plusieurs résultats scientifiques pour argumenter sur les nombreux avantages d'une pêche équilibrée, pour autant qu'elle reste raisonnable. Cette pêche maintiendrait suffisamment d'adultes, indispensables pour la reproduction et pour assurer les générations suivantes ; elle conserverait les proportions naturelles des populations au sein de l'écosystème et elle perturberait moins la chaîne alimentaire que la pêche sélective conventionnelle. Les auteurs indiquent aussi qu'elle pourrait contribuer à la sécurité alimentaire en permettant des productions totales plus élevées pour le même niveau d'impact écologique.
Les nuances existent et sont complexes. La pêche équilibrée est sélective puisqu'elle ne consiste pas à prélever indifféremment n'importe quel organisme. Mais cette sélectivité se place dans une nouvelle perspective, plus écosystémique. « Nous prônons dans tous les cas une pêche modérée, nécessaire à la restauration de l'écosystème et de ses communautés. Si de plus, elle est équilibrée, cela pourrait faciliter cette restauration et permettre des rendements durables plus élevés... », explique Marie-Joëlle Rochet.
Une approche en synergie avec les accords internationaux
La route à parcourir est encore longue avant de définir concrètement une gestion des pêches basée sur cette nouvelle approche. Cela nécessiterait notamment une reconsidération des rejets, puisqu'ils n'auraient plus le statut de nuisance mais deviendraient partie intégrante de la stratégie de gestion. En parallèle, une évolution des modes de consommation occidentaux devrait également s'opérer, car une gestion basée sur la pêche équilibrée impliquerait d'utiliser des espèces dédaignées actuellement par les consommateurs.
Cette approche entre en résonance avec les récents accords et conventions internationales qui préconisent la restauration des stocks de poissons et des écosystèmes marins. Ainsi, la sélectivité devrait être prise en compte dans les stratégies de reconstruction des stocks à un niveau durable préconisé par les accords des Nations Unies à Johannesburg en 2002. Cette réflexion menée par les scientifiques du monde entier accompagne une prise de conscience internationale de l'importance de considérer les effets des pratiques humaines sur les écosystèmes et la biodiversité, en vue de diminuer les impacts de nos activités.
Le fruit d'échanges à Nagoya
Une étude a consisté à comparer, grâce au développement d'un modèle mathématique, les effets de pêches sélectives à ceux de pêches moins sélectives mais de même intensité, sur les tailles des individus d'un écosystème. Le modèle a montré que la pêche déstabilise le système, qui est stable en l'absence de pêche : par le jeu des relations prédateur-proie, la biomasse totale oscille (augmente puis diminue sans cesse au cours du temps). A un instant donné, la biomasse disponible peut être, soit faible, soit moyenne, soit élevée, mais l'équilibre n'est jamais atteint. Plus la pêche est sélective, plus les oscillations sont amples.
Un modèle plus complexe décrivant aussi la diversité des espèces avait permis de montrer que pour un rendement donné, exploiter de façon sélective une gamme réduite d'espèces ou de tailles, affecte toujours davantage la biodiversité qu'une exploitation moins sélective. Source : Communiqué de presse de l'Ifremer du 8 mars 2012
Article du Télégramme : Côté mer. Après la pêche sélective, la pêche équilibrée
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