Sur les traces de l'or noir : la saga des Magot (Sud-Ouest)
Retour sur le temps de l'or noir « livré » par les esturgeons de l'estuaire.
En années fastes, l'estuaire produisait sept tonnes d'esturgeons par an
«Souvent le soir, les hommes attablés parlaient avec des lueurs étranges dans les yeux des escales sur la rivière. Et même de la mer. Ceux-là, un jour, ne reviendraient pas » (1). C'est ainsi que de la haute Auvézère, d'Argentat ou de la basse Dordogne, les flotteurs de bois ou bateliers sur leurs gabarres ont colonisé, de Libourne jusqu'à Royan, les rives de la Gironde.
Ils sont bien sûr restés marins, mais sont aussi devenus carriers, constructeurs et charpentiers de navire, capitaines au long cours. Les plus célèbres sont restés les pêcheurs de l'estuaire.
Le plus grand du siècle - Né en 1842 à Mouleydier, en Dordogne, de parents et d'ancêtres « patrons de bateaux », Jean Magot s'est fixé à Gauriac et a fondé une famille en 1869. Ses nombreux descendants sont devenus pêcheurs à leur tour. Et Pierre-Laurent Magot (1906-1976) a laissé sur l'estuaire, et à Blaye où il s'était fixé, le souvenir du plus grand pêcheur d'esturgeons du siècle. L'esturgeon que l'on appelait ici le créa, le créac, ou le créat. Sa fille Josette Magot-Palassin a retrouvé de nombreuses archives : documents, photos, outils, articles de presse, précieuses reliques pour célébrer la mémoire de son père et l'histoire du caviar. Ainsi, en visite sur le port de Saint-Seurin d'Uzet, en 1868, un marchand de Hambourg horrifié, s'était ému de voir les œufs d'esturgeons donnés en pâture aux volailles. Il initia les pêcheurs à la préparation du caviar.
Une princesse Romanoff - La guerre, en 1914, interrompit cette magnifique saga. En 1920, une princesse Romanoff en errance, découvrit le trésor en jachère. Ce furent les débuts de l'âge d'or. Une femelle esturgeon de 470 kg fut pêchée, à hauteur du port des Callonges, qui portait 70 kg d'œufs. La renommée du caviar subjugua jusqu'aux artistes. L'actrice Danielle Darrieux devint une assidue de fantastiques dégustations, et acquit une résidence à Nauzan, près de Royan. En 1946, après la guerre, Laurent Magot prit la succession de son père sur le fleuve, où il naviguât jusqu'à son dernier jour. Du printemps à l'automne, il pêchait toutes espèces de poissons. Cependant, mai et juin étaient réservés à l'esturgeon. Marin intrépide, d'Ambès à Meschers, il débusquait les « phénomènes » qui remontaient le fleuve jusqu'aux frayères en amont de Tuilière, en Dordogne. Il expédiait son caviar aux négociants, dont la célèbre Maison Prunier, et vers les plus grands restaurateurs parisiens….
Sur les traces de l'or noir : le fleuve stérilisé (Sud-Ouest)
La fin de l'âge d'or des années 50 et 60 est datée. C'était à la fin des années 70. Annette Magot-Pouget se souvient de « la belle époque ».
Les filets, les « tramails », étaient à l'époque confectionnés en chanvre. Puis ce fut en coton. Et enfin en nylon. Les dimensions étaient limitées à 110 mètres de long et 3 mètres de haut. Les mailles du milieu à 20 centimètres et les armailles, sur les côtés, à 60 centimètres. Les copains se copiaient et fabriquaient eux-mêmes leurs modèles. La taille des mailles était réalisée sans recourir à de savants calculs, à l'exemple des francs-maçons, bâtisseurs de cathédrales.
L'esturgeon adulte, de 1,50 m à plus de 3,50 m, pesant de 20 à 300 kg, fournissait environ 10 % de son poids en œufs (400 000 à 2 000 000). L'acipenser sturio, spécifique à l'estuaire, y passait cinq ou six ans. Ainsi s'habituait-il progressivement à la salinité avant de passer, à maturité (quinze ans pour les mâles, dix-sept à vingt-cinq ans pour les femelles) (1) dans les fosses côtières.
Dans le créa, tout est bon - « Dans le créa tout est bon, de la tête à la queue », explique Josette Magot-Palassin (voir notre édition d'hier). « Après avoir enlevé les scutelles (parties saillantes des arêtes dorsales et latérales), on découpait la bête. De la tête on faisait une soupe. On accommodait la chair soit grillée, soit au vin blanc et petits oignons, comme une sauce de veau, dont elle avait la consistance. On faisait rôtir la queue, avec de l'ail et des anchois, dans sa propre graisse. La peau se détachait facilement. C'était une gourmandise que chacun recherchait »….
Les culs-terreux du haut - « Grâce aux pêches miraculeuses de mon mari, nous avons pu élever dignement nos enfants. Mais, se souvient Annette, pour répondre aux demandes pressantes de certains pêcheurs, Jacques Chaban-Delmas avait fait reculer la date de fermeture annuelle de la pêche. Mon père, Jean Magot, et mon mari, étaient contre. La surpêche, par les "gens du haut", les "culs-terreux" en baignoires proches des frayères, a complété le désastre. Maintenant il n'y a plus rien. »…
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Le 13 septembre 2012
Concarneau. L'esturgeon retrouve les côtes bretonnes (Le Télégramme)
«Très encourageante»: c'est ainsi que les scientifiques jugent la prise réalisée lundi, par les marins pêcheurs du Lhassa, un côtier de Concarneau (29), face à Trévignon. Ils ont trouvé dans leur chalut un esturgeon européen long d'1,10m, pour 5,6kg, une espèce en état de quasi-extinction. Sa pêche est interdite depuis 1982 et l'animal fait l'objet d'un programme de reproduction artificielle et de réintroduction dans le milieu naturel, à partir de la Gironde. C'est pourquoi le poisson était marqué. Comme ils doivent le faire en cas de capture accidentelle, les pêcheurs ont contacté les scientifiques de la station de biologie marine de Concarneau (29) qui, après diverses mesures, ont relâché l'esturgeon en mer. Au vu de sa taille, ils estiment son âge à 4 ou 5 ans: il ferait donc partie du tout premier lâcher d'alevins, réalisé en 2007. (Photo station de biologie marine de Concarneau)
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Pêche. Un esturgeon dans le chalut du Lhassa (Le Télégramme)
Le côtier Lhassa a remonté lundi un esturgeon européen, espèce au bord de l'extinction faisant l'objet d'un plan de restauration. Le poisson a été observé puis relâché par la station de biologie marine, qui juge cette présence encourageante.
Un esturgeon européen dans le chalut! Lundi en fin d'après-midi, devant la pointe de Trévignon, les marins du Lhassa ont vécu une scène devenue rarissime. Jusqu'au début des années 2000, les captures accidentelles de ce poisson interdit à la pêche depuis 1982 survenaient encore de temps en temps sur les côtes bretonnes. Mais la surpêche, les pollutions ou les aménagements industriels ont entraîné la disparition progressive de l'«acipencer sturio», de son nom latin, espèce se reproduisant en eau douce. Aucune reproduction naturelle n'a été observée depuis 1994...
1,10 mètres et 5,6kg
«On peut parler d'un état de quasi-disparition en 2007 au moment du lancement d'un plan de restauration, associant reproduction artificielle et lâchers d'alevins en mer», explique Samuel Iglesias, chercheur à la station de biologie marine de la Croix. Ébaubi par sa découverte, le patron du Lhassa, Pierre Nicolas, l'a prévenu dès qu'il a vu dans son chalut cet esturgeon, marqué et long d'1,10 mètres pour 5,6kg. Une équipe de scientifiques est venue le récupérer au moment du débarquement. «Nous l'avons placé dans une caisse remplie d'eau et ramené à la station, où nous l'avons mesuré, pesé et échantillonné avant de le remettre à l'eau, en le suivant en plongée pendant dix minutes», explique Samuel Iglésias, qui salue le bon réflexe de l'équipage du Lhassa. Voici quelques années, un tel esturgeon avait failli passer sous criée...
Âgé de 4 à 5 ans
«Nous menons une grosse campagne de sensibilisation à destination des pêcheurs, qui doivent absolument les remettre à l'eau après avoir pris une photo et quelques indications», souligne Éric Rochard, directeur de recherche à l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture). Dans le bassin de la Gironde, coeur du plan de réintroduction de l'espèce, la mortalité accidentelle est encore élevée. Il pilote la partie scientifique du plan de restauration. Selon lui, au vu de sa taille, l'esturgeon pêché à Trévignon devait être âgé de 4 à 5 ans, ce qui correspond au premier lâcher effectué en mer. Éric Rochard juge une telle présence sur les côtes bretonnes «très encourageante»: «Les esturgeons doivent logiquement se trouver en février mars et en septembre octobre à la pointe bretonne, c'est donc un signe qu'ils se déplacent normalement». La bataille pour la restauration de l'espèce est loin d'être gagnée, «mais aujourd'hui on peut être optimiste».
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