« C'est un combat d'une vingtaine d'années, depuis l'obtention en 1989 du premier label rouge pour un produit de la mer, les fines de claires vertes. Après ce premier label français, il nous fallait ce label européen », a expliqué François Patsouris, le président de la section régionale conchylicole de Poitou-Charentes.
« C'est un soulagement après des années de galère », abonde Jean-Pierre Suire, président du groupement qualité de l'appellation. Récompensant les efforts consentis ces dernières années par les ostréiculteurs, ce label arraché de haute lutte constituera un « formidable atout d'image et de commercialisation », qui pèsera nécessairement dans la négociation des prix. Référent, il devrait également rassurer le consommateur et le conforter dans son choix.
))))))))))))))))))))))))))))))
La chanson de geste de l'affineur (Sud Ouest)
Cela fait cinquante ans qu'il arpente le marais de la Pointe aux herbes. Ici, les salicornes et les lavandes de mer composent un doux tableau impressionniste, parcouru du lacis de chenaux endormis, souligné de bruyères folles. Un désert où l'unique relief est un murmure de vie. Quelques rares sons s'élèvent de ce lit de végétation basse. Le cri d'alarme d'une alouette que l'on dérange. Le plongeon mou de la pagaie d'un kayakiste assez hardi pour s'aventurer dans le labyrinthe de nature.
Depuis la route de Mornac-sur-Seudre, il faut hésiter longtemps sur un long chemin blanc pour gagner le paradis des claires. Géométrie improbable où le ciel, la terre et l'eau rencontrent le destin de l'huître de Marennes-Oléron. Ce sont d'anciens marais salants que des générations d'ostréiculteurs ont façonnés en dédale de bassins argileux. Ces claires d'affinage sont à l'huître ce qu'une bonne vieille barrique est à un grand cru : l'écrin où s'apaise la vie sauvage des grands parcs en mer, et où débute le temps de la sagesse, des saveurs arrondies et des teintes profondes. Celle de l'huître de Marennes-Oléron, lorsqu'elle répond aux canons, est un vert tendre comme une coupe d'herbe sur la bosse du marais.
Un geste qui se perd
Sous son chapeau de cuir mou, l'affineur est à la tâche. Il pourrait s'arrêter, prendre sa retraite. Il poursuit, par amour du marais. Dans ce grand silence, il paraît semer au vent les huîtres qu'il disperse à la volée. Il « épare » avec une fourche, dans un geste auguste qui se perd, beaucoup de ses collègues préférant immerger dans les claires des poches grillagées garnies d'huîtres. Daniel s'arc-boute sur un travail à l'unité ou presque. Se retournant à peine, il envoie dans son dos une gerbe d'huîtres qui crépite comme la mitraille en touchant la fleur de l'eau. Elles couleront dans vingt à trente centimètres, et seront oubliées le temps nécessaire à leur bonification. Un savant coup de poignet donné dans le bon tempo au manche de l'outil garantit la bonne dispersion des huîtres à la surface. Deux bêtes au mètre carré. Le geste est bien dosé.
Tout a débuté par la mise à l'eau, une fin d'été, des collecteurs de naissains : 10 000 tubes mis à l'eau. Trois années plus tard, les huîtres arriveront dans le marais. L'établissement en produit un petit volume (25 tonnes) à l'aune des productions du secteur. Un choix, pour privilégier l'excellence.
Ce que Daniel sait de l'affinage, son père le lui a appris, qui lui-même tenait ce savoir-faire de son père, qui lui-même… Dans la famille Conseil, on maîtrise l'art de l'affinage depuis quatre générations. Daniel pose à ses pieds les dents de la fourche et rassemble ses deux mains en appui au sommet du manche, en même temps que ses souvenirs. « Mon grand-père a acheté ses premières claires à un marquis descendant de Richelieu. Le roi avait offert le marais des rives de Seudre au cardinal, en remerciement des services rendus durant le Grand Siège de La Rochelle. » Un marais où celui qui possédait alors le sel, possédait la richesse… Le chapitre de la gabelle, des gabelous et des marais salants s'est refermé, celui de l'huître affinée a pu s'ouvrir. En lieu et place. « Louis XIV les exigeait à sa table… Les premiers essais d'affinage auraient été réalisés dans des " gardours ", des trous creusés dans la glaise pour relever les digues de Seudre. » 7 000 claires étaient répertoriées en 1738. Quinze ans plus tard, le mot faisait son apparition dans l'« Encyclopédie » de Diderot et d'Alembert.
C'est à Marennes-Oléron et nulle part ailleurs que l'on parle aujourd'hui de 3 000 hectares de marais (soit une surface en eau de 2 000 hectares), sur le territoire des vingt-sept communes du périmètre de l'indication géographique protégée Marennes-Oléron. Quand Bruxelles a accordé cette IGP en 2007, ce fut la reconnaissance réglementaire européenne d'une pratique ancestrale.
Un produit, un terroir, un paysage. L'huître affinée, le marais, ses claires. Ce triptyque, comme la composition d'un chef-d'œuvre, répond à des règles académiques. Sur la densité des huîtres immergées, sur la durée d'affinage aussi, suivant que l'on déclare à la vente une huître fine de claires (sorte de tête de gondole), une spéciale de claires, plus généreuse et charnue ou, produit d'excellence cher à Daniel Conseil, une pousse en claires. La Rolls des huîtres dont seulement 2.000 kilos sont produits chaque année, pour un tonnage global d'huîtres du bassin qui est de 60.000 tonnes.
L'établissement de Daniel Conseil est à La Tremblade. Ses 160 claires sont à Mornac-sur-Seudre et Marennes. 160 bassins, tous creusés à la force des mains (et il fallait connaître celles d'Albert, son père décédé il y a un an, pour se faire une idée du labeur). Des marais dont il faut relever chaque année les parois que percent les crabes, qu'il faut alimenter en eau, vidanger. Un vrai labeur, une méthode de travail éprouvée. Pendant que des claires sont en eau, d'autres « gralent » (grillent) sous le soleil. Il faut les vider pour appauvrir le milieu, technique propice au développement de la navicule bleue, cette micro-algue qui donne sa teinte à l'huître qui la filtre. Mais ça n'est pas une science exacte. « Attention à ne pas trop toucher au fond de la claire, « l'humeur », ni à la laisser trop longtemps asséchée. On la remet en eau quand le fond porte le poids d'un homme… »
Un milieu à la fois rustique et fragile. « C'est un peu comme la vigne, renchérit Daniel Conseil. On reconnaît la qualité d'une claire à la qualité de son sol, une glaise fine qui doit glisser entre les doigts. C'est cette magie qui me plaît, qui vient de ce milieu qui n'existe qu'ici. On a bien tenté de faire des claires en Vendée, mais cela ne fonctionne pas ! »
La magie des générations
Une magie où se croisent les générations. Dany et Coco, son père, Arnaud, le petit-fils qui, tout près de là, teste l'élevage complémentaire des gambas en marais. Comme seuls les Conseil peuvent le faire, c'est-à-dire sans aucun apport d'aliment, fut-il certifié bio. Simplement en prélevant ce que le milieu veut bien leur donner pour nourrir les gambas. En l'occurrence de petits crabes qu'il écrase avant de les donner en pitance. Ces gambas seront pêchées aux premières fraîcheurs de l'automne. Et, assurément, ce sera jour de fête dans le marais de la Pointe aux herbes. Philippe Baroux
Commentaires