Cap Mauritanie 1 : La seconde vie du chalutier Bara Heiz

(Copies d'écran de Marine Traffic et de la page facebook : Ma Bro du 29 et. d'ailleurs)

En novembre 2017, le chalutier de l'Armement bigouden « Bara Heiz » a rejoint les eaux poissonneuses de la Mauritanie... Une seconde vie, pour bon nombre de chalutiers norvégiens, danois et espagnols, au large de l'Afrique de l'Ouest, haut lieu de la pêche dans le monde... avec des captures annuelles estimées à 3-4 millions de tonnes sur les côtes saharo-mauritano-sénégalaises ! En revanche les ressources pélagiques abondantes sont convoitées par la pêche minotière. Plus d'un quart de la production halieutique est aujourd'hui transformée en farine et en huile de poisson alors que cette région africaine approvisionne traditionnellement les pays déficitaires en poisson du Golfe de Guinée...

Dans le port du Guilvinec, le « Bara Heiz » construit en 1986 a laissé sa place à un chalutier flambant neuf le « Bara Breizh »

« C’est une décision importante, mais si nous ne construisons pas, nous restons à la traîne. On ne peut pas continuer à pêcher avec de vieux bateaux dont les coûts d’entretien et les arrêts techniques augmentent avec l’âge. Et nous ne pouvons pas continuer à faire travailler des équipages sur de vieux bateaux alors qu’il leur faut plus de confort et de meilleures conditions de travail, » expliquait Soazig Le Gall-Palmer, présidente de l’Armement Bigouden. « Un bateau neuf cela coûte cher, mais l’entretien cela coûte aussi cher. » (1)



Navires-usines et chalutiers hauturiers aux barques et pirogues artisanales !

Un bateau d'origine bretonne au milieu d'une flottille hétéroclite et diversifiée avec des objectifs divergents...

Au large des côtes africaines, le Bara Heiz a rejoint une flottille d'une centaine de bateaux de pêche de seconde main acquis par des armateurs africains, souvent dans le cadre d'armement mixte sous pavillon marocain, mauritanien ou sénégalais. Avec ses 24 m de longueur, le Bara Heiz fait figure de « petit », faire ses preuves face à des navires beaucoup plus gros, d'une longueur comprise entre 30 et 50 m... Après 32 années dans les eaux européennes, il doit maintenant trouver sa place au milieu des navires étrangers qui exploitent les eaux mauritaniennes dans le cadre des accords de pêche avec l'Union Européenne, la Chine, la Russie, le Japon, la Turquie, des chalutiers hauturiers et des navires-usines de plus de 100 mètres de longueur.

Près des côtes et sur le chemin de son port d'attache Nouadhibou, le « Bara Heiz » dorénavant « Cap Mauritanie 1 » louvoie probablement au milieu d'une myriade de pirogues artisanales... 

Des centaines de pirogues dans le port artisanal de Nouadhibou



Dans ce pays de tradition nomade, la pêche artisanale s'est développée récemment... Elle a explosé à partir des années 1990 ! Aujourd'hui, des dizaines de milliers de pêcheurs artisans alimentent les marchés locaux et surtout les marchés internationaux notamment en poulpe...

« En 1978, je me souviens, nous n’étions que 17 embarcations artisanales.... Aujourd’hui, nous sommes 36.000 pêcheurs artisans et nous utilisons 7.500 pirogues.... » expliquait Sid’Amed Ould Abeid, président de la Fédération nationale des pêches en Mauritanie, le 21 janvier 2013 au Parlement européen... « Pour ce qui est de la pêche de poulpe, nous assurons 60% de la production nationale en quantité et 70% en valeur. Nous fournissons 90% de l’emploi dans le secteur, avec des gens qui travaillent dans 50 usines de traitement de congélation des produits, dans 12 ateliers de fabrication de pirogues, et dans des centaines de magasins de vente de matériel, des milliers de mareyeurs, de transporteurs, de fabricants de pots, etc. Dans la pêche artisanale, la valeur ajoutée est de 8 fois supérieure à la valeur ajoutée dans la pêche industrielle. » (2)

Ces chiffres montrent l'importance et le dynamisme de la pêche artisanale dans ce pays... Un secteur artisanal qui par la voix de son président demandait aux parlementaires européens de ne pas oublier les communautés de pêcheurs et de soutenir le développement de la pêche locale dans le cadre de l'accord de pêche entre l'UE et le Mauritanie...

Des centaines de barques artisanales à proximité du port de pêche industrielle de Dakhla 


Que cible le « Cap Mauritanie 1 » sur cette côte ouest-africaine ? Pas de langoustine, ni de lotte dans les eaux mauritaniennes...

Selon le « Livret pratique d'autocontrôle pour la pêche artisanale – Pêche de Mauritanie » (3), les eaux maritimes sous l’autorité de l’État de Mauritanie présentent quatre types de ressources : Espèces démersales profondes, Espèces démersales côtières (du plateau continental), Espèces pélagiques côtières et Espèce pélagiques hauturières...

Le chalutier « Cap Mauritanie 1 », armé d'un chalut de fond, ciblerait en premier les espèces démersales côtières (du plateau continental) : thiof (Epinephelus aenus), capitaine plexiglas (Galeoides decadactylus), pagres (Pagrus caeruleostictus et bellottii), rouget (Pseudupeneus prayensis), crevettes (Penaeus notialis et Penaeus keraturus). Et éventuellement les espèces démersales profondes : vivaneaux (Lutjanus sp), rascasses (Scorpaena sp), sébastes (Sebastes sp), requins, raies, crevettes profondes (Parapenaeus longirostris et Aristeus varidens), crabes profonds (Geryon).

 (Copie d'écran du film youtube "Coopérative de pêche artisanale en Mauritanie")

Parmi les ressources démersales les plus convoitées dans les eaux mauritaniennes, le poulpe, (la seiche et le calamar) ciblé par les céphalopodiers et les piroguiers ! De par leur abondance sur la façade ouest-africaine, les espèces pélagiques côtières font l'objet d'une intense exploitation avec le développement récent de la pêche minotière à partir des sardinelles (Sardinella maderensis et Saridenella aurita)... Les autres espèces pélagiques sont la cible d'une part, des armements industriels et des chalutiers-usines pour la congélation à bord, et d'autre part des pêcheurs piroguiers : chinchard (Trachirus sp), ethmalose (Ethmalosa fimbriata), maquereaux (Scomber japonicus), machoiron (Arius sp), caranx (Caranx sp), sabre... Plus au large, les espèces pélagiques hauturières : listao (Katsuwonus pelamis), patudo ou thon obèse (Thunnus obesus), albacore (Thunnus albacares), ravil (Euthunnus allettaratus), espadon (Xiphias gladius)...

Ruée sur la farine de poisson

Alain Le Sann du Collectif Pêche et Développement nous alerte sur les menaces pour la sécurité alimentaire du développement de la pêche minotière en Afrique de l'Ouest : Farines de poisson : Quand on enlève le poisson de la bouche des africains.

Extraits

En Mauritanie, chaque année, 200 à 300 000 tonnes de poissons pélagiques (sardinelles) auparavant vendues, congelées, pour la consommation humaine au Nigéria, en Côte d’Ivoire, au Ghana, ont été détournées vers les usines de farine. Il y en avait 5 en 2010, il y en a 29 en 2016 et 40 autorisations ont été signées. Ces usines sont liées à des capitaux turcs, chinois, marocains et russes. Elles tournent à 28% de leur capacité et n’assurent que très peu d’emplois directs, moins de 1000 pour 300 000 T (Au Sénégal, 150 000 T débarquées assurent 50 000 emplois). De plus, 200 000 T de sardinelles transformées en farine privent 40 millions d’Africains de 5 kg de poisson de qualité par personne. Les seuls pêcheurs bénéficiaires sont les pêcheurs des 200 pirogues à sennes, essentiellement sénégalaises, affrétées par les usines pour pêcher une ressource surexploitée.

S’y ajoute au Maroc, une forte pression pour détourner une partie des sardines vers les usines de farine. En 2013, 425 000 T ont été livrées pour la farine, dont 260 000 t de sardines.

Pour l’instant le Sénégal échappe encore à cette ruée sur la farine de poisson qui touche maintenant la Mauritanie, mais déjà, des femmes de M’bour et de Joal se plaignent de la concurrence de ces usines. Elles sont censées ne travailler que les déchets et les poissons invendables de faible qualité, mais la tentation est forte de faire tourner l’usine à plein en captant une partie des poissons pour l’alimentation humaine. En effet, le prix de la farine a augmenté de plus de 50% à cause de de la demande croissante d’aliments pour l’aquaculture, alors que dans le même temps la production de farine se réduit dans le reste du monde. Les pêcheurs sénégalais sont en effet alertés par ce qui se passe en Mauritanie.

Dans l’intention louable de mieux valoriser ses captures, l'Etat mauritanien a décidé, à partir de 2010, de réduire l’activité des chalutiers pélagiques étrangers en augmentant le coût des licences, en repoussant ces bateaux au large et en les obligeant à débarquer leur poisson dans les ports de Mauritanie en livrant 2% des captures pour alimenter un programme de vente à très bas prix sur le marché intérieur. 60 chalutiers étaient concernés, 10 d’Europe de l’Ouest, livrant surtout du poisson congelé en Afrique (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria) et 50 de Russie et Europe de l’Est pour alimenter leurs propres marchés. Belle initiative peut-on se dire, respectant tous les canons de la justice et de la pêche responsable. Le programme de distribution de poisson aux Mauritaniens a bien marché et a amélioré leur alimentation, mais par ailleurs ces choix se sont révélés plutôt catastrophiques. (4)

Point sur la pêche en Mauritanie

La Mauritanie dispose d’une façade Atlantique longue de 720 kilomètres qui va de l’embouchure du fleuve Sénégal à la pointe du cap Blanc (frontière avec le territoire non autonome du Sahara Occidental). La zone économique exclusive (ZEE) couvre une superficie de 234 000 km2. L’importante présence du phénomène d’upwelling et d’autres phénomènes océaniques fait que la le pays dispose d’une ressource halieutique importante et variée.

Le secteur de la pêche en Mauritanie représente 55.000 emplois directs et indirects, selon les statistiques officielles. Mais la Fédération libre de la pêche artisanale du nord (FLPAN) estime que ce chiffre « est sous-estimé » et que 90% de ces emplois sont générés par le sous-secteur de la pêche artisanale. Celui-ci compte 7.000 embarcations. Quant aux bateaux industriels mauritaniens, ils continuent à voir leur nombre se réduire d'année en année. Ainsi, de 90 en 2016, ce nombre est tombé à 78 en ce début d’année 2018.

En matière de production, les captures sont estimées à 900.000 tonnes de poissons, dont 300.000 tonnes issues de la pêche nationale (200.000 tonnes de petits pélagiques et 100.000 tonnes de poissons démersaux de fond. Sur ces 100.000 tonnes générées par la pêche de fond, on dénombre 44.000 tonnes de céphalopodes. Le secteur de la pêche représente 49% des exportations mauritaniennes et a rapporté 507 millions de dollars de recettes en 2017. (5)

Philippe Favrelière (actualisé le 20 janvier 2018)

(1) Bara Breizh – Combinaison gagnante

(2) Accord de pêche Mauritanie/UE. Le pêcheur de poulpe face aux eurodéputés...

(3) Livret pratique d'autocontrôle pour la pêche artisanale – Pêche de Mauritanie
http://www.peches.gov.mr/IMG/pdf/livret_pratique_d_autocontrole_pour_la_peche_artisanale-2.pdf

(4) Croissance de la production de farine de poisson en Mauritanie: implications pour la sécurité alimentaire régionale
http://www.cape-cffa.org/blog-en-francais/2017/3/21/croissance-de-la-production-de-farine-de-poisson-en-mauritanie-implications-pour-la-scurit-alimentaire-rgionale

(5) Mauritanie: l’Etat étouffe la pêche locale au profit des étrangers


Autres articles :

Autres informations sur les pêcheries mauritaniennes

Rapport de la Réunion annuelle du Comité Scientifique Conjointe relatif à l'Accord de pêche signé entre la République islamique de Mauritanie et l'Union européenne – Nouakchott, 05 au 07 septembre 2016 

Pêche en Mauritanie : Nouadhibou, royaume de la gabegie

Coopérative de pêche artisanale en Mauritanie




Pêcheurs de Mauritanie

360°-GEO : Documentaire (découvertes) de 52min de 2008

Résumé

Les Imraguen vivent de la pêche, au large de la Mauritanie, mais le nombre croissant de chalutiers internationaux dans ces eaux compromet leur équilibre.






Calamars, pieuvres et seiches : pourquoi leur nombre ne cesse d’augmenter

Alexander Arkhipkin, membre du service des pêches des Îles Malouines...

Les populations de calamars, seiches et pieuvres connaissent une véritable explosion de par le monde. Ces créatures à la croissance rapide et aux grandes capacités d’adaptation sont parfaitement équipées pour faire face aux ruptures induites par les effets les plus marqués du changement climatique et de la surpêche. C’est ce que révèlent des travaux que mes collègues et moi-même avons récemment rendus publics dans la revue Current Biology.

Les hommes ont fortement entamé, et dans bien des cas épuisé, les ressources d’une pêche durable pour satisfaire les besoins alimentaires d’une population mondiale toujours plus dense. Si l’on se place du point de vue de la chaîne alimentaire, nous avons tendance à capturer en premier lieu les plus grands prédateurs et, ensuite, les autres espèces. Les pêcheurs ont ainsi visé les requins, les thons et les baleines, puis les poissons de taille moyenne comme les cabillauds, merlus et flétans qui vivent en général longtemps et ont une croissance lente.

L’espace vacant laissé par les poissons surpêchés peut être occupé par d’autres espèces, tout particulièrement les animaux qui prolifèrent rapidement, en tête desquels se trouvent les céphalopodes. Calamars, seiches et pieuvres évoluent sur une « voie rapide » : leur croissance est brève et leur durée de vie dure, en général, un ou deux ans. Ils pondent beaucoup d’œufs et ceux-ci présentent des taux de mortalité relativement bas : les femelles pieuvres veillent patiemment au développement de leur progéniture tandis que les embryons de calamars sont protégés par une muqueuse protectrice. Ces caractéristiques permettent aux céphalopodes de s’adapter rapidement aux changements de leur environnement ; c’est ce qui s’est produit ces dernières décennies.

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