Cette friture vaut mieux que ce beau poisson !
Manger plus de poisson n'est pas synonyme de se nourrir mieux !
Au Bangladesh, la population mange plus
de poisson et pourtant elle se nourrit moins bien... C'est le constat
de Jessica Bogard, nutritionniste en santé publique à l'Université
du Queensland (Australie). Elle parle même d'une amplification de la
malnutrition dans le pays alors que les bengalis consomment en
moyenne 30% de poisson en plus... Pour elle, l'explication de la
dégradation de la malnutrition dans ce pays où le poisson tient une
très grande place dans la ration alimentaire, est à chercher du
côté de la révolution bleue, l'explosion de l'aquaculture qu'a
connu le pays ces 20 dernières années !
Au Bangladesh, les captures de la pêche
ont diminué de 33% entre 1991 et 2010. Dans le même temps le pays
s'est hissé au dixième rang des puissances halieutiques dans le
monde en raison de l'explosion aquacole ! Ce pays parmi les plus
pauvres est dorénavant le sixième producteur aquacole dans le monde
avec une quantité de plus d'un million de tonnes de produits issus
de l'aquaculture, principalement de la pisciculture d'eau douce et de
la crevetticulture...
Le poisson est largement connu comme un
aliment sain, riche en protéines et autres nutriments, alors comment
expliquer cette situation au Bangladesh ? Eh bien, il s'agit des
types de poissons disponibles à la population sur les lieux de
vente.
La croissance dans ce secteur aquacole
a plus que compensé la baisse des captures à la pêche, ce qui
explique la forte augmentation de la consommation de poisson au fil
du temps. Tout irait bien si la valeur nutritionnelle des différentes
espèces était identique. Or, il s'avère qu'au Bangladesh, les
espèces locales issues des pêcheries sont généralement beaucoup
plus nutritives que les espèces cultivées.
Et c'est là que l'analyse de la
nutritionniste devient pertinente...
Les captures à la pêche sont caractérisées par
une grande diversité, près de 300 espèces de
« petits poissons indigènes », qui sont le plus souvent
consommés entiers, tête et arêtes comprises. Des petits poissons
sources importantes en micronutriments, fer, zinc, calcium et
vitamine A, ainsi qu'en protéines de haute qualité. Alors que
l'aquaculture est dominée par une poignée de grandes espèces de
poissons, indigènes et exotiques. Seule la chair de ces gros poissons d'élevage
est habituellement consommée, ce qui constitue une source de
protéines de haute qualité, mais elle contient généralement moins
de micronutriments.
Comme les régimes ont évolué vers
davantage de poissons d'élevage, les apports en nutriments provenant
du poisson ont diminué. Ce qui a des implications sérieuses dans
un pays souffrant de malnutrition généralisée. En effet, le
Bangladesh a l'un des taux de malnutrition les plus élevés au
monde. Plus d'un enfant de moins de cinq ans sur trois souffre d'un
retard de croissance - un indicateur de malnutrition chronique. Et
des millions vivent avec diverses carences en micronutriments.
Les conseils de Madame la
nutritionniste...
Selon des estimations, la malnutrition
coûterait au Bangladesh 1 milliard de dollars par an en perte de
productivité économique. Sans tenir compte du coût en matière de
santé pour le traitement de la malnutrition ainsi que des autres
coûts sociaux.
La malnutrition sous ses diverses
formes affecte presque tous les pays du monde. Combinée avec une
mauvaise alimentation, c'est la première cause de maladie dans le
monde. Le poisson est un aliment riche en nutriments qui peut jouer
un rôle plus important pour relever ce défi mondial, non seulement
au Bangladesh mais dans de nombreuses régions.
L'objectif de développement durable
des Nations Unies (ODD) qui vise à éliminer la malnutrition, sera
atteint, à condition que les systèmes de production alimentaire, y
compris l'aquaculture, soient réorientés afin de se concentrer sur
la nutrition. Cela signifie de choisir parmi les divers systèmes
alimentaires ceux qui donnent la priorité aux aliments riches en
nutriments.
… Des systèmes piscicoles de type
polyculture pour une meilleure qualité !
Le Bangladesh a la solution aux
problèmes de la malnutrition en généralisant les systèmes
piscicoles de type polyculture. Les petits poissons riches en
nutriments sont alors produits aux côtés de gros poissons dans une
pratique connue sous le nom de polyculture, de sorte que plusieurs
espèces sont élevées dans le même bassin.
Les gros poissons peuvent être vendus
comme source de revenus, tandis que les petits poissons sont récoltés
régulièrement pour la consommation du ménage ou, en cas de
surplus, pour la vente. Les agro-pisciculteurs sont en mesure
d'augmenter les rendements totaux tout en améliorant la qualité
nutritionnelle de leurs systèmes de production.
Un petit poisson, connu sous le nom de
mola (Amblypharyngodon mola), est une source exceptionnelle de
vitamine A. L'inclure dans les systèmes de polyculture s'est avéré
être une stratégie rentable pour soulager la carence en vitamine A.
Malgré cela, cette approche n'est toujours pas adoptée.
Cette étude de Jessica Bogard (*) confirme
que produire plus de nourriture n'est pas le seul défi. L'objectif
des systèmes de production alimentaire, y compris l'aquaculture,
doit aller au-delà de la maximisation des rendements ; il doit également
tenir compte de la qualité nutritionnelle. Sinon, le
monde continuera de faire face à des situations comme celle du
Bangladesh, où la malnutrition persiste malgré l'abondance.
Philippe Favrelière à partir de l'article de The Conversation : In Bangladesh, people are eating more
fish but getting less nutrition from it
https://theconversation.com/in-bangladesh-people-are-eating-more-fish-but-getting-less-nutrition-from-it-75458
(*) Plosone : Higher fish but lower micronutrient
intakes: Temporal changes in fish consumption from capture fisheries
and aquaculture in Bangladesh
Autre source : Maximizing the contribution of fish to
human nutrition - FAO / Wordfish
Shakuntala Haraksingh Thilsted, David
James, Jogeir Toppe, Rohana Subasinghe, Iddya Karunasagar
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