Illustration Google images : Serge Lucas marins-pêcheurs
Statistiques et journalistes
Billet d'humeur de Serge Lucas, journaliste-photographe : 30 ans avec les marins-pêcheurs (*)
« T'es journaliste ! Quelle connerie vas-tu encore raconter ? »
Ce fut mon premier contact avec un marin pêcheur en février 1968... Les pêcheurs faisaient grève avant tout le monde !
Au lieu de tourner les talons, j'ai entendu un cri... Michel Chardon patron artisan d'un coquillard m'ouvrit bientôt les coupées...
Au fil des années suivantes, en voyant venir à Dieppe, les lendemains de naufrage, les confrères parisiens et d'ailleurs, en lisant leurs articles, je me suis dit que Michel avait sommairement mais plutôt bien analysé notre profession...
Et depuis... Et il y a deux semaines au lendemain de l'alerte lancée par le WWF d'Isabelle Autissier, j'ai entendu, le 16 septembre 2015, ouvrant le journal d'Europe 1 de midi, Jean-Michel Apathie déclarer « Que ceux qui aiment le poisson se dépêchent d'en manger... Il n'y aura bientôt plus de poisson ! »
Et ce matin 29 septembre 2015, c'est Yves Calvi, à RTL, qui fait écho à Greenpeace pour classer les conserveurs de boîtes de thons selon leur implication dans la manière de pêcher ! La canne bien entendu et pas l'horrible senne !
Oui ! Michel Chardon n'avait pas tort !
Oui ! Michel Chardon n'avait pas tort !
Il est vrai qu'on approche de la grande conférence de Paris sur le climat et qu'il faut d'abord se manifester !
Journalistes et ONG bien calés dans leurs fauteuils parisiens rivalisent de chiffres désespérants pour affoler les populations et susciter des adhésions et auditeurs...
Un détail au passage, c'est la Thaïlande qui est le plus gros producteur mondial de thon en conserve. Elle en exporte chaque année environ 500 000 tonnes ce qui correspond à 800 000 tonnes de thons pêchés Et qu'on aille les pêcher à la canne !
Je suis depuis plusieurs années un lecteur très attentif du rapport que publie chaque année par la FAO sous le titre Situation mondiale des pêches et de l'aquaculture
Cette organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture me paraît très sérieuse, tout au plus parfois timorée, s'efforçant de donner une photographie aussi juste que possible...
Oui ! Que possible, car j'avais déjà relevé dans l'édition 2010 :
Page 6 : « Les statistiques sous-estimant... »
Page 9 : « Vu les connaissances lacunaires dont on dispose... »
Page 9 : « Une bonne partie de la production et de la croissance n'a simplement pas été signalée... »
Page 18 : « Près d'un tiers des pays ne fournissent aucune information... »
Page 32 : « ...dans certaines régions les données officielles [...] sous-estiment de 1 000 pour cent la production effective... »
Et dans la Situation de 2014 je lis page 23 :
« ...Il demeure difficile d'obtenir des données nationales de bonne qualité afin de pouvoir analyser mieux et de façon plus détaillée la situation et les tendances de l'aquaculture dans le monde entier. Ces dernières années, par exemple, le nombre de pays de l'Union européenne (Organisation Membre) brouillant intentionnellement certains détails statistiques lors de la transmission de leurs données nationales a augmenté en raison de la confidentialité des renseignements concernés. »
Par ailleurs quand les auteurs de cette situation se risquent à envisager l'avenir, ils insistent sur le fait que leurs chiffres sont des projections et non des prévisions.
Alors quand on entend de la part d'ONG ou/et de journalistes des affirmations chiffrées sur la situation des stocks, il y a lieu d'être circonspect !
En soulignant le besoin mondial d'une « chasse » aux pêches illicites, d'une pêche responsable de l'environnement... à la page 228 de la Situation 2014 je note :
« ... la production mondiale de poisson et autres produits aquatiques devrait augmenter sur la période considérée (2013 – 2022) pour atteindre 181 millions de tonnes en 2022 dont 161 millions de tonnes destinées à la consommation humaine directe [...] On estime que la production de la pêche de capture devrait progresser de 5 % pour s'établir à 96 millions de tonnes... »
J'arrête en rappelant que la FAO se soucie de l'augmentation de la population mondiale qu'il faudra bien nourrir... L'Asie, l'Afrique et tous les pays où le poisson est souvent la principale si ce n'est la seule nourriture animale riche en protéines devraient profiter de cette augmentation d'un marché alimenté certes par une pêche responsable respectueuse de l'environnement et... des pêcheurs...
On est loin, très loin à Paris (!) des divisions par deux chantées par le WWF !!!
J'avais noté aussi dans la Situation de 2012 :
« Les pressions exercées par les ONG pour que la pêche adopte des approches moins gourmandes en ressources et en énergie seront un élément important du changement. Mais, si l'on en croit l'expérience tirée d'autres domaines politiques, il est essentiel de disposer d'éléments de preuve indépendants si l'on veut que le débat débouche sur des politiques réalistes et efficaces qui bénéficient d'un vaste soutien. Par conséquent, il sera nécessaire de mobiliser et de motiver un large éventail de parties prenantes, en particulier dans les domaines où le changement risque d'être le plus difficile. »
Je rapproche tout cela de l'excellent article d'Alain Le Sann du 24 septembre dernier (WWF : Un rapport sur les océans qui doit rapporter)...
Bon Vent ! Belle Mer !
Serge Lucas
Autre article sur les médias : A tous les journalistes - Un post des pêcheurs anglais bien british !
30 ans avec les marins-pêcheurs
Le fond photographique Serge Lucas, un témoignage exceptionnel
Cycle Des bateaux et des Hommes.
Mercredi 7 octobre à 19h
Auditorium du musée, entrée par les jardins du Trocadéro
Entrée gratuite, dans la limite des places disponibles
Ouverture des portes à partir de 18h30
Réservation conseillée au 01 53 65 69 53
Autre article sur les médias : A tous les journalistes - Un post des pêcheurs anglais bien british !
(*) Journaliste, Serge Lucas se consacre exclusivement à l’étude
des conditions de travail des marins-pêcheurs à partir de 1978. Sur près de 30
ans, il a enregistré l’évolution des bateaux, la transformation des méthodes
de travail, leurs gestes, leur matériel, leur vie à bord, offrant une dimension
ethnographique à son œuvre. Ce fonds photographique, aujourd'hui au Musée de la Marine à Paris, permet de replacer les métiers et
techniques de pêche dans une perspective débouchant sur des questions
contemporaines : l’évolution du métier, la gestion de la ressource, des quotas…
Conférence de Serge Lucas au Musée de la Marine
30 ans avec les marins-pêcheurs
Le fond photographique Serge Lucas, un témoignage exceptionnel
Cycle Des bateaux et des Hommes.
Mercredi 7 octobre à 19h
Auditorium du musée, entrée par les jardins du Trocadéro
Entrée gratuite, dans la limite des places disponibles
Ouverture des portes à partir de 18h30
Réservation conseillée au 01 53 65 69 53
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