Continuité écologique : épistémologie d’un système réinventant les 7 péchés capitaux


Continuité écologique : épistémologie d’un système réinventant les 7 péchés capitaux

« Comment en est-on arrivé là » ?… » Qui décide au juste » ?

Ces questions reviennent souvent quand on parle de continuité écologique et de la politique de l’eau dont les effets sont infligés aux ouvrages hydrauliques (Et en amont, à la qualité des eaux littorales dont dépendent les activités halieutiques estuariennes et côtières ndlr).

Article transmis par l'Observatoire de la continuité écologique et des usages de l'eau : OCE2015 

Radiographie d’un système à bout de souffle qui patauge, incapable d’améliorer la qualité de l’eau, alors qu’il s’agissait d’un « enjeu majeur »

Essayons donc d’exposer les principaux acteurs. Les commentaires en italiques aident à interpréter chaque entrée.

Union européenne. Une part croissante du droit des Etats membres provient de l’activité législative et réglementaire de l’Union européenne.

À titre d’exemple pour l’eau : 
  • Directive 91/271/CEE 1991 Eaux résiduaires urbaines ; 
  • Directive 91/676/CEE 1991 Nitrates ; 
  • Directive 92/43/CEE Habitats Faune Flore ; 
  • Directive 1996 (96/61/CE puis Directive 2008 2008/1/CE) Prévention et réduction intégrées des pollutions (IPPC) ; 
  • Directive 2000/60/CE 2000 DCE Etat chimique et écologique des masses d’eau ; 
  • Directive 2009 Pesticides (2009/128/CE). 

C’est la DCE 2000 qui a le plus influence pour la question des ouvrages hydrauliques.

Commentaire OCE : bon nombre de « décideurs-applicateurs » ont coutume de se défausser sur l’Europe quand la rumeur publique critique les lois françaises sur l’eau. Il faut savoir : d’une part que les directives européennes sont conçues et approuvées par les Etats-membres, et que d’autre part  la DCE 2000 n’impose nullement la destruction des seuils et barrages. C’est un choix dogmatique purement franco-français.

(cliquez sur la carte pour découvrir fleuves et rivières de France)
http://www.geographicus.com/P/AntiqueMap/FrancePhysical-buache-1770

Carte de Buache de Neuville (1770), le premier géographe à cartographier les bassins versants des fleuves de France (source : geographicus)

Législateur (Sénat et Assemblée nationale). Nos élus ne peuvent être omniscients mais ils décident des grandes orientations de la politique de l’eau au travers des lois (en fonction de ce qu’on leur a suggéré de penser sur une lecture manichéenne de l’écologie). Dont acte : la dernière en date est la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA 2006), faisant suite à d’autres textes (loi de répartition et lutte contre la pollution des eaux de 1964 ; loi sur la protection de la nature de 1976 ; loi sur la pêche de 1984 ; loi sur l’eau de 1992). La LEMA 2006 est en partie une transposition en droit français de la DCE 2000 (voir ci-dessus).


Commentaire OCE : les lois votées par les représentants du peuple sont souvent vidées de leur substance ou détournées par leur mise en application réglementaire. Exemple : dans le vote législatif, la continuité écologique devait concerner initialement les grands migrateurs amphihalins (saumons, esturgeons, anguilles…). La dérive ? Les décrets et arrêtés d’application ont compliqué singulièrement la situation en ratissant très large : plus d’une vingtaine d’espèces (dont certaines non jamais été migratrices stricto sensu). Les effets induits ? Des contraintes techniques irréalistes pour la plupart des sites (exemple protocole ICE) et se traduisant par une charge financière exorbitante.

Gouvernement, Ministère de l’Ecologie. Le gouvernement et l’administration centrale de l’État ont en charge de faire des choix politiques et d’assurer l’exécution pratique des lois, cela par des arrêtés et des décrets. Pour les ouvrages hydrauliques, la charge en revient principalement à la Direction de l’eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l’Ecologie et subsidiairement (pour l’hydro-électricité) la Direction de l’Energie et du Climat (DEC). Le Ministère de l’Agriculture a son mot à dire pour tout ce qui est pratiques agricoles, bien sûr. Outre les arrêtés et décrets, le Ministère de l’Ecologie dispose de divers outils pour donner des orientations (les plans, par exemple) ou des interprétations (autre exemple : les circulaires d’application).

Commentaires OCE : le problème n°1 des moulins et des usines hydrauliques s’appelle la Direction de l’eau et de la biodiversité au Ministère. C’est l’épicentre de l’inflation réglementaire. La contribution essentielle au mille-feuille administratif qui s’auto-alimente.

La cause ? Les fonctionnaires des Grands corps d’Etat (les « corpsards »). Les Ministres se succèdent…eux restent en place !

Eloignés du terrain, isolés dans leurs tours, ils sont là pour réfléchir. N’ayant aucune sanction électorale ni aucun contact avec les réalités, ces néo-hydro-technocrates passent leurs journées à concevoir des dispositions toujours plus pointilleuses et coûteuses, sans que personne ne puisse relever les effets collatéraux ni l’éventuelle impossibilité d’appliquer leurs directives par  les particuliers, les entreprises ou par les agents publics chargés de les contrôler. Leur ministre de tutelle, se contentant de leur répercuter les dictats  des lobbies qui tiennent les rênes du réel pouvoir.

DDT, DREAL, service déconcentrés de l’État. Le principal interlocuteur dans le domaine hydraulique est la DDT (Direction départementale des territoires, et de la mer – DDT(M) pour les départements marins), qui assure avec l’ONEMA la fonction de police de l’eau. Leur tâche consiste instruire les dossiers de déclaration ou d’autorisation au titre du CE, à vérifier que les ouvrages en rivière sont conformes à la réglementation (nationale ou préfectorale si arrêtés spécifiques en département ou région), le cas échéant à prononcer des sanctions administratives (abrogation de droit d’eau, injonction de renaturation du milieu, etc…)

Commentaires OCE : instruction à charge avec des œillères des petits dossiers privés, instruction très complaisante des dossiers de déclaration de travaux de destruction (sans contrôle du respect des prescriptions) ,instruction édulcorée sans analyse des impacts ni de la prise en compte des réels enjeux pour les dossiers importants, LRAR tous azimuts pour assurer son devoir d’information, LRAR pour dégager ses responsabilités, une mise aux normes coûte que coûte et toujours : un plaidoyer en faveur de la destruction des ouvrages « pour le bien de la planète »…

Agences de l’eau. Etablissements publics administratifs créées en 1964, les Agences de l’eau (6 en métropole) sont des agences de moyens qui collectent l’ensemble des taxes sur l’eau et les redistribue pour assurer la mise en œuvre. Leurs orientations sont choisies par des Comités de bassins, qui définissent aussi les SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux).

Commentaires OCE : le problème n°2 des moulins et des usines hydrauliques est lié à la politique doctrinale inéquitable de financement. Alors que les aménagements écologiques (passes à poissons) relèvent de l’intérêt général, les Agences rechignent le plus souvent à les  financer et mènent un chantage financier permanent pour inciter « pédagogiquement » [sous-entendu « financièrement »]  les propriétaires à effacer (araser ou déraser) leurs ouvrages avec 80 à 100% de financement public. L’incohérence: la restauration des vannages censés assurer le transit sédimentaire est dogmatiquement inéligible aux aides. Les milliards gaspillés auraient permis de remettre à neuf tous les vannages de France. Nous sommes très loin du compte ! À signaler que les Comités de bassin sont perçus comme la chambre d’enregistrement des lobbies les plus puissants de l’eau. (Donc se payer les ouvrages hydrauliques pour laisser croire qu’on agit en faveur de la qualité de l’eau ne gêne pas grand monde, et arrange même certains…). L’inflation de certaines dépenses de fonctionnement et de subventions publiques sans aucune mesure scientifique réelle de leurs retombées environnementales en période parait-il de crise économique frôle la provocation.

Onema. Ancien CSP (Conseil supérieur de la pêche), appelé à être intégré dans l’Agence de la biodiversité, l’Onema remplit des rôles assez divers : recherche scientifique, gestion des bases de données, rapportage de la qualité des rivières à l’Union européenne, conseil et prescription technique aux DDT en région et département, police de l’eau sur le terrain.

Commentaires OCE : cristallisant souvent l’ire des propriétaires d’ouvrages hydrauliques, et ayant été fortement critiqué pour ses fautes de gestion interne par la Cour des Comptes, l’Onema mérite sans doute un jugement plus nuancé. Ses travaux scientifiques sont intéressants, son rôle sur le terrain est celui d’une police classique. Le principal problème observé réside dans la fonction de « soutien argumentaire » aux DDT : opaque dans son fonctionnement, cette tâche est assurée par des ingénieurs / techniciens parfois dénués de souplesse, de réalisme et de discernement, appliquant à la lettre des protocoles techniques complexes dont l’effet direct est la ruine économique de certains particuliers (la mise en œuvre des prescriptions exigées est extrêmement coûteuse). On signale aussi de ci de là quelques dérives idéologiques et doctrinaires éloignées des considérations environnementales. Et plus fréquemment, des exigences techniques et légales peu robustes qui contraignent les requérants à se tourner vers les tribunaux administratifs qui réaffirment leurs droits.

Syndicats de rivières et de bassins versants. Ces EPCI ou EPTB sont des établissements de coopération entre communes et autres collectivités locales. Les collectivités ont désormais la charge de ce que l’on nomme « gestion de l’eau, des milieux aquatiques et de prévention des inondations » (GEMAPI) mais en dehors des métropoles et agglomérations de grande taille, elles n’ont pas de compétence technique interne en hydraulique et hydrologie. Donc elles délèguent la tâche aux syndicats. Les syndicats portent parfois des SAGE (schéma de gestion et aménagement des eaux) ou divers contrats de rivières / de bassins.

Commentaires OCE : Les EPCI et EPTB sont très dépendants des financements des Agences de l’eau. Donc, dans le domaine de la continuité écologique, les syndicats tendent à réaliser ce qui plaît aux hauts fonctionnaires des Agences, des Préfectures et du Ministère…mais qui déplaît souvent fortement aux riverains et aux élus. Il y a plus ou moins d’autonomie et de courage à la tête des syndicats, certains sont capables de résister un peu à pression du financeur et de l’État, d’autres s’y plient servilement pour ne pas avoir de problème, certains anticipent en étant probablement convaincus d’atteindre le « bon état 2015 ». Mais une constante : ils sont tous persuadés que la bonne idée consiste à lancer une DIG. Certains EPTB ont une approche plus professionnelle de l’hydrologie et leurs actions vont dans le bon sens : l’amélioration de la qualité de l’eau.

 Et de tout cela naissent les 7 plaies de la continuité écologique …

Nous le constatons, la situation est assez compliquée. Et encore, nous avons résumé à grands traits, sans parler en détail du rôle Régions (SRCE), de certains services comme les DREAL, etc…

Cette situation produit les 7 maux de la continuité écologique :

1) complexité. Illisible, enfermé sur lui-même, traversé de jeux de pouvoir enchevêtrés, formé d’un empilement non questionné de structures non évaluées (sérieusement), chapeauté par des technocrates en roue libre, le système est complexe dans ses normes qui s’accumulent, ses règlements, ses données, ses processus de décision, ses outils de communication.

2) opacité. L’action publique aime tout contrôler, mais elle répugne à l’être elle-même. Quiconque a essayé d’obtenir des informations sait combien il est très difficile d’obtenir publication de l’ensemble des documents internes présidant aux choix de l’administration, et plus généralement l’ensemble des données techniques sur l’eau. Le bateau ivre dérive au gré des courants du moment, sans juger bon de réponde de ses divagations.

3) inefficacité. Le mauvais état de bon nombre de rivières françaises témoigne à lui seul du résultat (médiocre) de la politique de l’eau depuis 50 ans. Les directives anciennes relatives à la pollution ne sont toujours pas appliquées, les choix en rivières changent tous les 20 ans (avant, on bétonnait les berges, les prêts des travaux connexes aux remembrements sont tout juste remboursés, des kilomètres de rivières rectilignes ont été créés…) et les mesures n’ont même pas d’analyse de suivi pour s’assurer d’un usage efficient de l’argent public.

4) gabegie. Bien que public, le système pousse au jeu du « presse-bouton » pour appeler qui un bureau d’étude pour produire des études, qui un bureau d’étude assurant la maîtrise d’œuvre, qui une entreprise privée en exécution de travaux… tout cela dans le cadre de marchés publics réputés faire exploser artificiellement les coûts. Peu importe : le contribuable paie. Des rentes s’instaurent. Des milliards dépensés tous les ans. Combien exactement ? Personne ne le sait.

5) irresponsabilité. Les bureaucraties ne font pas bon ménage avec la responsabilité personnelle. Les hauts fonctionnaires pratiquent la lutte des places et changent de poste dès qu’ils peuvent, les résultats ne sont pas sérieusement évalués, les échecs ne sont pas sanctionnés et les erreurs ne sont pas reconnues. Personne n’est coupable, personne n’est responsable, la machine ronronne en boucle… et l’Etat paie toutes les amendes.

6) autoritarisme. Illustration caricaturale du jacobinisme centralisateur et autoritaire, la continuité écologique est imposée de haut en bas, décidée pour l’essentiel par une poignée de Parisiens en circuit fermé, obsédés par la volonté de tout réguler et de laisser le minimum de liberté aux acteurs locaux. Ce n’est même plus de « l’écologie punitive », cela devient de la punition pour la punition, la volonté de démontrer la toute puissance de l’administration dans le gouvernement des personnes et des choses. Il faut détruire les moulins ainsi que les 450 000ha d’étangs. Ce que la révolution a épargné par nécessité, la continuité écologique doit l’effacer : tout doit disparaître. Point.

7) incohérence. Nous ne cessons de pointer les innombrables incohérences qui devraient lézarder le socle du dogme manichéen de l’eau. En 2014, il prime encore sur la clairvoyance.  Il faudra pousser les curseurs des actions dispendieuses sans effet environnemental encore quelques années  pour imaginer un jour une gestion équilibrée des cours d’eau : atténuer l’impact des crues et des étiages, améliorer la qualité de l’eau en réduisant les pollutions, réduire les pompages dans les nappes phréatiques…

pour enfin s’apercevoir que la cible des moulins n’était pas une priorité et ne méritait pas cet acharnement destructeur.

Et pour conclure…

Comme dans un roman de Kafka, on ne sait pas trop comment on est entré, on ne voit pas trop comment on peut sortir. Il faut prendre du recul : si elle menace le troisième patrimoine de France (celui de l’eau et de ses ouvrages hydrauliques), la continuité écologique ne concerne que quelques dizaines de milliers de personnes soit aucun poids électoral. Un public paisible. Elle n’est qu’un infime aspect des problèmes généraux que pose le dérèglement manifeste de l’action publique dans notre pays.

 On en sort comment ?

  • Au même titre que le droit de réserve ou le principe de précaution, on en sortira par une résistance à l’absurde, c’est-à-dire par un refus net, immédiat et déterminé d’appliquer les consignes de la continuité écologique quand elles mutilent le patrimoine (par précaution) et persécutent les meuniers. La grogne monte. C’est le rôle des associations, des collectifs et de leurs avocats. Des ouvrages qui ont traversé les siècles auront été détruits pour l’exemple. Cette mutilation patrimoniale est plus difficile à accepter en temps de paix surtout quand elle est initiée par l’administration,
  • Mais aussi en laissant un peu de temps au temps : l’État n’a d’ores et déjà plus les moyens humains et financiers de nourrir son obésité réglementaire,
  • les travaux scientifiques n’arrivent pas à légitimer l’absence de résultats de la continuité écologique,
  • un nombre croissant d’élus et de responsables constatent les échecs et sont témoins des conflits locaux sur le terrain,
  • Les normes inapplicables… ne seront tout simplement pas appliquées. Cela s’appelle le principe de réalité,
  • Et la continuité écologique à la sauce étatique ira se fracasser sur le mur du réel : elle subira l’érosion… du poids de l’inertie.

Après avoir célébré les funérailles de la continuité écologique, on pourrait enfin passer à une écologie intelligente, productrice d’emplois et ô combien nécessaire à nos rivières.


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