Le Festival International de Films « Pêcheurs du Monde » vous donne rendez-vous pour une nouvelle campagne de pêche aux films de mer 2013.
Lorient du 19 au 24 mars 2013
Lieu de rencontres et d’échanges avec des réalisateurs, des professionnels de la pêche, des scientifiques, ce festival de films nous invite à découvrir des images inédites sur ces pêcheurs du monde et à débattre sur les enjeux de la mer et des hommes qui en vivent. Ce Festival est le rendez-vous des peuples et des cultures de la mer, la rencontre du cinéma et des pêcheurs du monde.
5e édition du Festival International de Films « Pêcheurs du Monde »
Du 19 au 24 mars 2013 à Ploemeur et à Lorient, la cinquième édition de « Pêcheurs du Monde » propose au public 43 films où les peuples de la mer se dévoilent et se racontent, partent au combat contre les éléments déchainés, réfléchissent à leur avenir et se souviennent. Images de rêve, images de liberté, images de peur, sensibilité et approche différente, l’océan inspire les cinéastes.
Des moments de cinéma à l’état pur
En avant-première le Festival présentera le mardi 19 mars à 20h30 au Cinéville de Lorient le très remarqué long métrage sénégalais de Moussa Touré La Pirogue sur une dangereuse traversée de jeunes africains du Sénégal vers l’Europe, film sélectionné au Festival de Cannes 2012 et primé dans de nombreux festivals internationaux.
En soirée d’ouverture, le mercredi 20 mars à 20h à Océanis de Ploemeur et en entrée gratuite, le Festival partira dans un magnifique voyage sur les mers du globe avec Planète Océan de Yann Artus-Bertrand et Michel Pitiot.
Documentaire, Japon, 2011, 116mn, V.O. sous-titrée en français
Réalisé par Kamanaka Hitomi
Deux ans après Fukushima, le film documentaire japonais « Comme l’abeille qui fait tourner la Terre » vient nous rappeler que des pêcheurs sont toujours affectés par les rejets radioactifs de la catastrophe nucléaire...
Des pêcheurs disent « non » au nucléaire
La communauté de pêcheurs d’Iwai-shima met en échec depuis 30 ans la construction du complexe nucléaire de Kaminoseki...
(Au départ, plusieurs femmes ramassent des algues sur l'estran rocheux...)
(Au départ, plusieurs femmes ramassent des algues sur l'estran rocheux...)
Iwai-shima est une petite île de la mer intérieure de Seto à quelque 80 km de Hiroshima. Ses 500 habitants y vivent de la pêche et de l’agriculture. Sur le littoral d’en face, à cinq kilomètres de là, se trouve la baie de Ta-no-ura, à la pointe de la péninsule de Murotsu (commune de Kaminoseki sur Honshû). La compagnie électrique privée Chûgoku Denryoku, alias Energia, envisage, depuis 1982, d’y construire une centrale nucléaire sur un vaste terre-plein qui détruirait l’une des zones de pêche privilégiées des insulaires. C’est pour cela que la coopérative de pêche d’Iwai-shima se dresse résolument contre ce projet, ainsi que la moitié des habitants.
Les habitants d’Iwaishima savent que « tout est lié » : le nucléaire, qu’on leur présente cyniquement comme le seul avenir possible pour une communauté dont la moyenne d’âge est très élevée, transformerait les eaux fécondes de la baie de Ta-no-ura en plateforme de remblais et en zone de rejets. Ce qui détruirait à jamais une biodiversité exceptionnelle. Ils refusent les dédommagements : « la mer n’est pas à vendre ! » – pas plus que le droit de pêche, le travail de la terre, la récolte des algues dont ils vivent et qu’ils veulent transmettre comme ils les ont reçus.
(Une bataille navale à coup de haut-parleur : D'un côté, la société qui veut accéder au site pour commencer les travaux... De l'autre, les iliens qui protègent leurs zones de pêche, en interdisant l'accès aux intrus : les femmes, côté Terre, les pêcheurs embarqués, côté Mer)
(Une bataille navale à coup de haut-parleur : D'un côté, la société qui veut accéder au site pour commencer les travaux... De l'autre, les iliens qui protègent leurs zones de pêche, en interdisant l'accès aux intrus : les femmes, côté Terre, les pêcheurs embarqués, côté Mer)
Les habitants d’Iwaishima résistent sans violence, solidaires et joyeux, soudés autour du jeune Yamato Takashi qui réorganise avec eux la production locale pour la vendre hors des réseaux de la grande distribution. Leur prochain objectif : l’autonomie énergétique. Kamanaka Hitomi nous entraîne alors en Suède, dans la première commune auto-suffisante, ou dans un champ d’éoliennes du nord du Japon. Ce ne sont pas des modèles, mais des pièces apportées au débat. L’allégresse communicative de ce documentaire est d’abord un hommage à l’ingéniosité des humains qui, partout dans le monde, s’occupent d’inventer un futur autre que celui qu’on veut leur imposer.
Ce film indépendant a été projeté plus de 450 fois dans l’ensemble du Japon, par des groupes de citoyens de plus en plus nombreux à rejoindre le débat sur la politique énergétique, à s’insurger contre le gaspillage et la privatisation des ressources naturelles, le saccage de l’agriculture et de la pêche par la recherche de profits immédiats. D’après : Comme l’abeille qui fait tourner la Terre et L’exemplaire lutte antinucléaire d’Iwai-shima
Puis, le Festival jettera l’ancre du 21 mars au 24 mars salle Ricoeur et salle Gilles de Gennes à l’entrée du lycée Dupuy de Lôme de Lorient avec dans ses filets 43 films d’une quinzaine de pays dont 15 films en compétition :
En salle, de nombreux documentaires sur les pêcheurs des quatre coins du globe avec de très beaux témoignages comme ceux de ces pêcheurs du Japon refusant l’installation d’une centrale nucléaire dans leur baie dans Comme l’abeille qui fait tourner la terre du japonais Hitomi Kamanaka ou celui de ces émigrants clandestins sénégalais dans Mbëkk Mi, le souffle de l’océan de Sophie Bachelier ou de ces pêcheurs européens qui s’affrontent dans La Paix du Golfe de Patrice Gérard.
Le cinéma de mer peut être aussi du cinéma à l’état pur comme le long métrage avant-gardiste Léviathan de Véréna Paravel et Lucien Castaing Taylor qui filme la mer comme une œuvre d’art ou le docu-fiction indien Sengadal, the Dead Sea de Leena Manimekala sur les pêcheurs indiens dans le conflit du Sri Lanka.
Le Festival c’est aussi des rencontres en images avec des communautés de pêcheurs sibériennes, thaïlandaises, africaines et canadiennes et des grands moments de mémoire avec L’homme d’Aran de Robert Flaherty réalisé en 1934 sur les pêcheurs de l’ouest de l’Irlande ou Marins de Groix-La migration vers Keroman, une enquête passionnante menée par les collégiens de Saint Tudy sur la migration des pêcheurs de Groix vers le port de Lorient . Un beau voyage en perspective.
Un Festival unique, rendez-vous des peuples de la mer
Un Festival unique, rendez-vous des peuples de la mer
Lieu de rencontres et d’échanges avec des réalisateurs, des professionnels de la pêche, des scientifiques, le Festival soutient un cinéma de qualité en proposant de nombreux inédits en France et avec un prix du Festival donné par un jury de professionnels et un prix Jeunes donné par un jury de lycéens. Depuis sa première édition en 2008, plus d’une centaine de films de tous les continents ont été projetés et le Festival a accueilli près de 5000 spectateurs et des réalisateurs de tous les continents.
Visitez le site web pour plus de détails : Festival Pêcheurs du Monde
Téléchargez le programme : Grilles horaires 2013
Autre article :
- Retour sur les éditions passées du Festival de Films : Pêcheurs du Monde
Avant première, Cinéville: tarif unique : 5€ ,
Soirée d’ouverture, salle Keragan (Océanis, Ploemeur): entrée gratuite
Sélection Reflet du monde et films en compétition salle Ricoeur:
Pass festival: Plein tarif : 20€. Tarif réduit : 10€ ,
Pass journée: Plein tarif : 8€ Tarif réduit : 5€
Pass séance: Plein tarif : 4€ Tarif réduit : 2€,
Sélection La boîte à films, salle G de Gennes: entrée gratuite.
Le 27 Mars 2013
L’an dernier, loin des discours, des problématiques et des voix off, ils s’impliquaient directement dans la vie quotidienne des pêcheurs, partageant leurs conditions et leur univers souvent difficiles. Inoubliable, l’engagement de Frédéric Tonolli auprès d’une communauté de pêcheurs tchouktches dans « La mort d’un peuple ».
Cette fois-ci, ils nous font découvrir l’engagement collectif de communautés qui cherchent à préserver leur condition de vie. Et tout y est, relaté avec talent et sensibilité malgré la difficulté de la tâche. Car ils nous font suivre et comprendre une lutte engagée, parfois sur du long terme, les déboires, les événements, les personnages qui s’incarnent dans ce combat, mais aussi les doutes, les interrogations, les peurs, les dissensions, et les joies parfois, qui ébranlent ces communautés. Allez voir : « The pipe », « Downeast », « Comme l’abeille qui fait tourner la terre » (cf. ci-dessous). Ces luttes pour la survie d’une collectivité enracinée n’ont pas toujours une fin heureuse mais elles laissent une empreinte profonde, un fil d’humanité qui se transmet nécessairement. Ce qui me marque dans celles-ci c’est la forte implication de gens souvent âgés, et le mélange des milieux et des horizons qui bouleversent quelques idées reçues, une belle ouverture pour envisager l’avenir…
Avec « Mbëkk Mi, le souffle de l’océan » de Sophie Bachelier, c’est une autre forme de résistance à laquelle se livrent ces femmes sénégalaises. Par leurs témoignages directs sur leur histoire et leurs souffrances, elles acceptent de transgresser les codes de leurs cultures. Une façon pour elles de sauver d’autres vies, de nous alerter sur les conditions qui poussent leurs fils, leurs maris et leurs proches à tenter de traverser l’océan, de nous interpeller sur les situations qui s’ensuivent… Des récits poignants, filmés sobrement en noir et blanc, comme pour laisser transparaître la dignité de ces femmes, leur voix dans les sonorités de la langue natale…
Parfois aussi, la lutte est ancienne comme dans le cas de « 24 rue du port » de Frédéric Violeau à la recherche de racines à Noirmoutier. Les images d’archives de 1973 montrent que la population locale s’est élevée contre le projet pharaonique de construction d’un port dévolu au tourisme. A propos du déplacement de la plage : « Pour vous, c’est 150 mètres, pour nous, c’est notre plage. Vous êtes un bouc-émissaire pour des intérêts particuliers« . C’est la grand-mère, truculente, de Frédéric qui renoue avec l’histoire : « Un futur marin qu’il dit maintenant, il est pas rendu ! As-tu changé d’avis ? » dit-elle à son petit-fils adolescent, passionné de pêche. A propos d’Harry Borr, « le premier touriste », elle souligne : « Il était pas fier lui, il allait manger à bord des sardiniers« . Elle évoque une vie simple : « Les 3/4 étaient marins, autrement ils étaient cultivateurs… Le ragout de berniques, ça revenait pas cher, 2 ou 3 patates, 2 oignons, ça faisait un repas. » Elle remarque : « On n’avait pas d’touristes mais des ouvrières de mai à la Toussaint, c’était plus qu’un mois et demi. 200 Bretonnes, ici, ça remuait plus que maintenant… » L’un des pêcheurs note : « Les pêcheurs étaient des gens qui travaillaient pour gagner leur vie, pas pour gagner de l’argent, c’est un changement dans la façon de vivre, un changement de but ». « Le déracinement déracine tout sauf le besoin de racines » conclue le réalisateur…
Et dans cette très belle sélection que nous n’avons pu voir en entier, certains films étant projetés aux mêmes heures, nous avons remarqué le magnifique film d’archive de Robert Flaherty (l’auteur de Nanouk l’esquimau) : « L’homme d’Aran » ainsi que 2 thèmes bien abordées : « Du rififi dans l’écume » d’Herlé Jouan avec la question du braconnage des pousse-pieds par les pêcheurs espagnols et « Le mal de la mer » d’Edouard Bergéon sur la question de la drogue et des jeunes pêcheurs.
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Le 27 Mars 2013
Festival « Pêcheurs du monde » 2013 : l’engagement collectif de communautés
Un
très beau crû que cette cinquième édition du Festival « Pêcheurs du
monde » ! A croire que les réalisateurs, au travers du prisme sélectif
de cette équipe passionnée, suivent pas à pas nos désirs profonds qu’ils
mettent en images, en mots, en histoires.
L’an dernier, loin des discours, des problématiques et des voix off, ils s’impliquaient directement dans la vie quotidienne des pêcheurs, partageant leurs conditions et leur univers souvent difficiles. Inoubliable, l’engagement de Frédéric Tonolli auprès d’une communauté de pêcheurs tchouktches dans « La mort d’un peuple ».
Cette fois-ci, ils nous font découvrir l’engagement collectif de communautés qui cherchent à préserver leur condition de vie. Et tout y est, relaté avec talent et sensibilité malgré la difficulté de la tâche. Car ils nous font suivre et comprendre une lutte engagée, parfois sur du long terme, les déboires, les événements, les personnages qui s’incarnent dans ce combat, mais aussi les doutes, les interrogations, les peurs, les dissensions, et les joies parfois, qui ébranlent ces communautés. Allez voir : « The pipe », « Downeast », « Comme l’abeille qui fait tourner la terre » (cf. ci-dessous). Ces luttes pour la survie d’une collectivité enracinée n’ont pas toujours une fin heureuse mais elles laissent une empreinte profonde, un fil d’humanité qui se transmet nécessairement. Ce qui me marque dans celles-ci c’est la forte implication de gens souvent âgés, et le mélange des milieux et des horizons qui bouleversent quelques idées reçues, une belle ouverture pour envisager l’avenir…
Avec « Mbëkk Mi, le souffle de l’océan » de Sophie Bachelier, c’est une autre forme de résistance à laquelle se livrent ces femmes sénégalaises. Par leurs témoignages directs sur leur histoire et leurs souffrances, elles acceptent de transgresser les codes de leurs cultures. Une façon pour elles de sauver d’autres vies, de nous alerter sur les conditions qui poussent leurs fils, leurs maris et leurs proches à tenter de traverser l’océan, de nous interpeller sur les situations qui s’ensuivent… Des récits poignants, filmés sobrement en noir et blanc, comme pour laisser transparaître la dignité de ces femmes, leur voix dans les sonorités de la langue natale…
Parfois aussi, la lutte est ancienne comme dans le cas de « 24 rue du port » de Frédéric Violeau à la recherche de racines à Noirmoutier. Les images d’archives de 1973 montrent que la population locale s’est élevée contre le projet pharaonique de construction d’un port dévolu au tourisme. A propos du déplacement de la plage : « Pour vous, c’est 150 mètres, pour nous, c’est notre plage. Vous êtes un bouc-émissaire pour des intérêts particuliers« . C’est la grand-mère, truculente, de Frédéric qui renoue avec l’histoire : « Un futur marin qu’il dit maintenant, il est pas rendu ! As-tu changé d’avis ? » dit-elle à son petit-fils adolescent, passionné de pêche. A propos d’Harry Borr, « le premier touriste », elle souligne : « Il était pas fier lui, il allait manger à bord des sardiniers« . Elle évoque une vie simple : « Les 3/4 étaient marins, autrement ils étaient cultivateurs… Le ragout de berniques, ça revenait pas cher, 2 ou 3 patates, 2 oignons, ça faisait un repas. » Elle remarque : « On n’avait pas d’touristes mais des ouvrières de mai à la Toussaint, c’était plus qu’un mois et demi. 200 Bretonnes, ici, ça remuait plus que maintenant… » L’un des pêcheurs note : « Les pêcheurs étaient des gens qui travaillaient pour gagner leur vie, pas pour gagner de l’argent, c’est un changement dans la façon de vivre, un changement de but ». « Le déracinement déracine tout sauf le besoin de racines » conclue le réalisateur…
Et dans cette très belle sélection que nous n’avons pu voir en entier, certains films étant projetés aux mêmes heures, nous avons remarqué le magnifique film d’archive de Robert Flaherty (l’auteur de Nanouk l’esquimau) : « L’homme d’Aran » ainsi que 2 thèmes bien abordées : « Du rififi dans l’écume » d’Herlé Jouan avec la question du braconnage des pousse-pieds par les pêcheurs espagnols et « Le mal de la mer » d’Edouard Bergéon sur la question de la drogue et des jeunes pêcheurs.
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"Leviathan" de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor
La vie à bord d’un chalutier industriel, au large de la côte Est des Etats-Unis : à la fois film de philosophe sur une activité manuelle et documentaire très concret sur une activité à la portée cosmique, Léviathan dégage une puissance exceptionnelle. Sélectionné à Locarno 2012 et multi-récompensé à Belfort. Présenté au festival du film "Pêcheur du Monde" de Lorient en Mars 2013
Par Christophe Beney
L’état de sidération dans lequel nous plonge Léviathan est proportionnel à l’écart entre son résultat final et les attentes que le projet pouvait susciter. La démarche de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, artistes et professeurs d’ethnologie à Harvard, évoquait celle de Douglas Gordon et Philippe Parreno lorsqu’ils entreprirent de se servir de Zinedine Zidane comme d’un prisme du 21ème siècle naissant. Grosso modo, deux intellectuels et plasticiens qui s’emparent d’un objet trivial pour en faire une œuvre d’art, non pas à la manière de Duchamp et son urinoir, puisque le geste ne se limite pas à un déplacement, mais repose sur un dispositif. L’entreprise footballistique, louable, échouait à convaincre totalement pour diverses raisons, l’une d’elles étant assurément liée à la concurrence incroyable à laquelle elle s’exposait en matière de mises en scène du sport numéro un de tous les écrans. Léviathan n’a pas ce problème. Il n’existe pas vraiment de canons esthétiques en matière de cinégénie de la pêche, exceptés la prise des thons sous les yeux d’Ingrid Bergman dans Stromboli et, à l’autre bout du spectre, la sortie en haute mer fatale aux héros de En pleine tempête. Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor ont donc trouvé un bon sujet, à la fois relativement inédit et pourtant familier, un sujet doté d’un potentiel spirituel d’autant plus fort que nous sommes ici, littéralement, dans les eaux de Moby Dick, au large de Nantucket.
Malgré son titre, il n’est pas question de monstre marin dans Léviathan, parce que c’est tout l’océan qui s’y impose comme un bouillonnement cosmogonique. Cela tient à une idée toute simple des réalisateurs : filmer tout petit ce qui est très grand. Quand il y a des plans d’ensemble, ils sont plongés dans une obscurité naturelle telle – le travail se fait aussi de nuit – qu’elle sert de cache. L’inquiétude est là, le danger semble présent, sauf qu’il reste impossible à identifier, comme dans un Projet Blair Witch en pleine mer. Le reste n’est que plans moyens, et surtout gros plans, très gros plans. Il s’agit de capter les frémissements des petits êtres vivants, de toute cette impressionnante ménagerie à écailles, à carapaces ou à plumes, dans le sillage d’un navire qui finit par ressembler à une arche de Noé déglinguée. Grâce aux bruits permanents et plus ou moins lointains, on devine un hors-champ étendu à l’infini. On sent que la vie tient toute entière à la fois dans ce bateau et sa périphérie immédiate, et dans le film. C’est là que Léviathan est plus fort que Zidane, un portrait du 21ème siècle (ce n’est pas joli pour un critique de comparer ce qui n’est pas forcément comparable et d’enfoncer l’un pour élever l’autre, mais puisque nous avons commencé… ) : c’est un film d’artistes-marins, alors que Zidane n’était pas un film de footballeurs, mais bien un film d’artistes sur un footballeur. La différence majeure tient au dispositif technique. Dans Léviathan, il n’y a pas de placement de la caméra, et il n’y a pas de mains pour la tenir. L’essentiel des prises de vues se fait avec quelques appareils embarqués, attachés aux pêcheurs, charriés par le roulis sur le pont du bateau, secoués dans le filet, emportés par les mouettes (comment diable ont-ils tourné ce plan à la fois marin et aérien qui décolle à la manière d’un poisson emporté par le bec d’un volatile ?). Les cinéastes ont fait de ceux qu’ils devaient filmer leurs techniciens et acteurs (toutes les espèces visibles dans le film figurent à la distribution, au même titre que les marins). Pour visualiser l’ampleur de cette proposition, il faut imaginer un peintre arrivant à faire en sorte que son modèle se peigne lui-même, tout en produisant au final une œuvre signée de lui, l’artiste.
Léviathan est donc un documentaire sur la pêche industrielle et une œuvre d’art, un film qui peut-être projeté en salle, exhibé dans une galerie d’art contemporain, voire même vendu à la criée ou diffusé dans Thalassa. Le mystère Picasso de Clouzot était jusqu’à présent l’une des rares créations à avoir atteint ce point de fusion, à se confondre avec l’objet filmé au point d’en devenir indissociable, mais c’était un film sur l’art. Léviathan ne montre rien d’autres que la pêche industrielle, ses poissons vidés, ses pauses dans les coursives, ses manœuvres, et toute la vie animale qui gravite autour. Son montage réduit au maximum les coupes apparentes pour que rien ne vienne interrompre ce qui peut circuler entre toutes ces entités, y compris les machines avec leurs rouleaux tirant des profondeurs des câbles semblables à des intestins géants (la dernière fois que ce liant avait été si convaincant, c’était dans Le quattro volte de Michelangelo Frammartino, avec ses passages entre minéral, animal et végétal). L’écriture de Paravel et Castaing-Taylor se situe essentiellement à ce niveau. C’est judicieux, car même s’il s’agit de garder et de couper, cela immunise les auteurs de toute pédanterie. Le moindre décadrage, la durée la plus prononcée ne peuvent leur être imputable puisque la prise de vue est conditionnée par l’activité à bord, quotidienne et non dirigée par les réalisateurs. D’où l’impression, évidemment fausse, que la beauté nait de manière accidentelle, avec cette raie découpé violemment comme si l’on tailladait pas seulement un poisson mais la célèbre nature morte de Chardin, ces oiseaux qui évoquent ceux d’Hitchcock ou ces étoiles de mer flottant entre deux eaux qui forment un véritable ciel étoilé ondulant, au point que l’on se croirait tout autant dans l’espace que dans l’eau. Une beauté en plus dotée d’une conscience sociale qui, sans aller jusqu’à la vibration de La reprise du travail aux usines Wonder, porte en elle la dureté d’un labeur étant à la mer ce que la mine est à la terre. Léviathan serait le film sur lequel Hermann Melville, Thomas Hobbes, Emile Zola, Roberto Rossellini et Georges Pernoud tomberaient d’accord.
LEVIATHAN (Etats-Unis, 2012), un film de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Durée : 87 minutes. Sortie en France courant 2013 (Independencia).
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Le 19 Mars 2013
La cinquième édition du festival Pêcheurs du monde s'ouvre aujourd'hui, à Lorient. Jusqu'à dimanche, une quarantaine de films sur la vie des pêcheurs artisans autour du monde sont programmés.
Impossible d'envisager le mois de mars à Lorient, sans le festival international de films Pêcheurs du monde. Le festival lancé en 2009, par une poignée de passionnés, emmenés par son président Alain Le Sann, veut porter haut la défense de la pêche artisanale, à travers une sélection exigeante de fictions, de reportages et même, cette année, de dessins animés.
Le coup d'envoi est donné ce soir, à Lorient : une avant-première qui se déroule au Cinéville, à 20 h 30, avec la projection de « La pirogue », de Moussa Touré.
Le coup d'envoi est donné ce soir, à Lorient : une avant-première qui se déroule au Cinéville, à 20 h 30, avec la projection de « La pirogue », de Moussa Touré.
Un esprit de résistance
Pas de thème particulier retenu cette année. « Mais, ce qui ressort des films que nous avons visionnés, c'est l'esprit de résistance des pêcheurs, » explique Alain Le Sann. « Beaucoup de films remettent en question certaines politiques sur la gestion de l'espace maritime. On chasse les pêcheurs artisans de leurs zones de pêche mais on n'hésite pas à construire des terminaux pétroliers à la place ».
> "The pipe" raconte le combat d'un village de pêcheurs irlandais contre le géant pétrolier Shell. Le film sera diffusé samedi à 10H.
40 films sur quatre jours
Une quarantaine de films seront projetés durant quatre jours, dans l'amphithéâtre du lycée Dupuy-de-Lôme. « Certains films sont vraiment exceptionnels, comme "Léviathan0 ", un film de Véréna Pavel et Lucien Castaing, qui sera projeté vendredi, à 17 h. C'est un documentaire tourné sur un chalutier-dragueur. Les réalisateurs ont placé des caméras partout. Les images sont époustouflantes ». Pour sa soirée d'ouverture, ce soir, le festival propose le film de Yann Arthus-Bertrand, « Planète Océan ». Un film projeté pour susciter le débat car le message délivré par l'auteur n'est pas vraiment du goût de l'équipe du festival. « À quoi servent ces belles images ? », s'interroge Alain Le Sann. « Le message final, c'est de dire que la seule façon de sauver les océans, c'est de créer des réserves marines. La protection passe par l'exclusion des pêcheurs. Mais pas des industriels ou des touristes. On s'extasie sur les réserves de requins aux Bahamas. Et on fait venir des touristes, qui consomment des quantités de CO2, pour voir trois requins... Yann Arthus-Bertrand développe cette idéologie. Mais il est subventionné par le pétrole du Qatar. Alors... ».
Festival engagé
Un festival engagé, dont la programmation prône la défense de la pêche artisanale, menacée à travers le monde par la privatisation des droits de pêche et de l'espace en mer. « Les organisations non gouvernementales considèrent que les pêcheurs n'ont pas de droits mais seulement des privilèges, sous prétexte que la mer est un bien public à protéger, dénonce l'équipe du festival. Alors que ce sont des gens qui pêchent collectivement depuis des millénaires »
> Un hommage à Robert Flaherty, l'un des pères fondateurs du film documentaire, sera rendu le vendredi 22 mars. "L'homme d'Aran" portrait d'une famille de pêcheurs irlandais a été réalisé en 1934.
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Du 19 au 24 mars se déroule à Lorient et Ploemeur, dans le Morbihan, l’édition 2013, la cinquième, du Festival international du film Pêcheurs du Monde
Des dizaines de films, venus de tous les continents, permettent de découvrir par l’image pollutions, épuisement des fonds, conflits pour le contrôle de la ressource, mais aussi de montrer la vie quotidienne de ceux qui vivent de la mer et de la pêche, et d’en approcher les enjeux.
Avec aussi une Exposition IKARIA à la Cité de la Voile Eric Tabarly, une Journée de formation pour les enseignants, la Table ronde des réalisateurs et l’Atelier du goût, le tout présenté sur le site
Et en face de Lorient, une excursion à l’île de Groix s’impose, ne serait que pour comprendre pourquoi Gilles Servat la chante
De quelle source lui vient son nom
Est-ce de fée ou de sorcière
Ou de quelque noir enfer
Comme la boue de ses sillons
On dit que l’on y voit sa joie
On dit que l’on y voit sa croix
Je parle de l’île de Groix
Malheur à celui qui débarque
Il n’aimera pas ses hivers
Il trouvera ses quais déserts
Car le flot, seul, mène les barques
Mais essayez de foutre le camp
Elle vous aura aux sentiments
Comme femme retient l’amant
L’hiver la tient emprisonnée
Pour mieux l’accoucher au printemps
Premier soleil sur les buissons
Il n’y aura plus de gelée
L’eau de ses ports est froide encore
Mais fleurissent les boutons d’or
Et le goéland a pris l’essor
Si à travers mes yeux mi-clos
Il me plaît à revoir juillet
Je sens l’odeur du goudron frais
Qu’on passe aux quilles des bateaux
L’amante des sournois ruisseaux
Lutte avec l’eau d’un des sureaux
De la vapeur tremble sur l’eau
Les vieux parlent du temps passé
A Loc-Maria et Port-Tudy
Si vous n’comprenez pas, tant pis
Moitié français, breton moitié
On dit que l’on y voit sa joie
On dit que l’on y voit sa croix
Je parle de l’île de Groix
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