Quand les médecins se mêlent de la gestion des ressources halieutiques…

Manger plus de poisson paraît souhaitable pour la santé de l’homme, mais une consommation accrue accélérerait le déclin des espèces marines et pourrait, d’ici 40 ans, mener à l’extinction de la plupart des stocks de poissons commerciaux. C’est ce que soulèvent des chercheurs canadiens, dans une analyse publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne (JAMC). De plus, les chercheurs remettent en question les allégations selon lesquelles les oméga-3 d’origine marine seraient bons pour la santé cardiovasculaire.

Pour le Dr David Jenkins, médecin à l’hôpital St. Michael et professeur à l'Université de Toronto, il est clair que la préservation de la ressource halieutique est une priorité bien plus importante que les bienfaits supposés des omega 3 sur la santé humaine ! Les avantages pour la santé de la consommation de poisson ont été « sur-dramatisés » et ont mis une pression accrue sur les poissons sauvages.

Militant pour une approche plus écologique en matière de pêcheries, le Dr David Jenkins considère comme « non durables » les recommandations émises par les guides alimentaires occidentaux relativement à la consommation de poisson. « Les espèces que les pays occidentaux recommandent de manger davantage pour leurs oméga-3 sont déjà sous pression - comme dans le cas du thon à queue jaune - ou sont déjà effondrées - telle la morue au large des côtes du nord-est canadien », indique le médecin et nutritionniste rattaché à l’Université de Toronto.

Plus de 100 espèces de poissons sont déjà disparues des mers et, d’ici 2050, il en sera de même pour toutes les espèces pêchées sur une base commerciale, évoque-t-il en se basant sur différentes études et recherches sur le sujet. Pour ce qui est de l’aquaculture, David Jenkins la considère comme une solution ni valable ni souhaitable. « L’aquaculture mise surtout sur les espèces carnivores, mais pour produire 1 kilo de tels poissons d’élevage, il faut de 2,5 kg à 5 kg de petits poissons pour les alimenter », soutient-il.

Bienfaits des oméga-3 : d’autres preuves nécessaires ?

Dans son analyse, David Jenkins soutient aussi que les allégations santé que l’on prête aux poissons riches en oméga-3 sont, pour l’heure, « surestimées ». Citant particulièrement deux analyses d’études, il estime que les intervenants en santé publique n’ont « pas suffisamment prêté attention aux études qui n’ont démontré aucun bienfait des oméga-3 pour la santé ». « Au mieux, les huiles de poisson ne sont qu’un facteur parmi d’autres pouvant réduire le risque de maladies cardiovasculaires, le végétarisme ayant montré d’aussi bons résultats sur ce plan », indique-t-il tout en réclamant que d’autres études soient menées à ce sujet.

Evolution des captures mondiales de la pêche (non compris l'aquaculture)
Source : CMAJ
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Spécialiste des oméga-3 à l’Université Guelph en Ontario, le professeur Bruce Holub3 réfute les doutes émis par David Jenkins. « Dans son analyse, le Dr Jenkins néglige de souligner que d’importantes méta-analyses ont démontré que manger plus de poisson réduit le risque de mortalité prématurée », souligne Bruce Holub. Il reproche aussi à David Jenkins de souffler le chaud et le froid, en soutenant que certaines études ne montrent qu’une amélioration de 10 % à 15 % sur la santé de ceux qui prennent des oméga-3 – par l’alimentation ou en suppléments. « Des études ont montré des résultats supérieurs, mais même à hauteur de 10 % ou 15 %, de tels résultats sont tout sauf négligeables en ce qui concerne la santé publique, affirme le professeur Holub. De plus, ils correspondent à ceux qu’on obtient avec certains médicaments vendus sur ordonnance. »

Pour une pêche et une consommation éthiques

Pour David Jenkins, même si d’autres études montraient des bienfaits accrus des oméga-3 sur la santé, les auteurs des guides alimentaires devraient désormais tenir compte des impacts environnementaux globaux de leurs recommandations avant de les émettre.

« La menace environnementale que pose une consommation accrue de poisson est désormais évidente, et l’aquaculture – qui réduit les ressources alimentaires des pays en développement - n’est pas une solution viable », écrit-il dans son analyse. « Nous mangeons les mauvaises espèces de poissons, et en trop grande quantité », soutient pour sa part le Dr Éric Dewailly, de l’Université Laval. Selon lui, il serait préférable de délaisser les gros poissons – tels le saumon ou le thon rouge, par exemple – et d’opter pour ceux qui sont plus bas dans la chaîne alimentaire, comme la sardine, le hareng, le maquereau, le capelan ou l’anchois. « Les petits poissons sont très abondants, ils ont une meilleure valeur nutritive que les gros poissons et ils contiennent moins de polluants », ajoute Éric Dewailly.

« Les gouvernements et l'industrie incitent les consommateurs à manger plus de poisson car il est bon pour la santé », explique Rashid Sumaila, directeur de l'Unité de recherche en économie de la pêche à l’Université de Colombie Britanique et co-auteur. « Mais où allons-nous donc trouver tous ces poissons ? Nous allons les chercher de plus en plus loin, notamment dans les eaux autour de l'Afrique et à d'autres endroits où la sécurité alimentaire est un problème. »

« Pour les habitants du Canada, des USA ou de l’Europe, le poisson est l’une des nombreuses options possibles en matière de consommation et en terme d'alimentation équilibrée», dit le chercheur Daniel Pauly. « Pour de nombreuses personnes dans les pays du Sud, le poisson est souvent l’unique source de protéines. Il serait irresponsable pour nous de consommer sans vérifier l’origine de la nourriture qui peut avoir des incidences ailleurs ».
Source : Passeport Santé et ScienceDaily

Voir l'article intégral : Are dietary recommendations for the use of fish oils sustainable ? (CMAJ)

Photographie de Philippe FAVRELIERE : Vendeur de thon sur le marché de Manta (Equateur)

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Nutrition et cancer

Nutrition et cancer

Rapport d’expertise collective

Légitimité de recommandations nutritionnelles dans le cadre de la prévention des cancers

Anses - Mai 2011

Pour télécharger le rapport d’expertise, cliquer : Nutrition et cancer

Nutrition et cancers : quelles recommandations ?

Quelles recommandations nutritionnelles peut-on faire en matière de prévention des cancers sur la base de l'ensemble des données scientifiques disponibles ? Face au problème majeur de santé publique que sont les cancers et dans un contexte foisonnant de conseils et prises de position parfois contradictoires, l'Anses a souhaité s'auto-saisir et publie aujourd'hui un rapport d'expertise « Nutrition et cancer : légitimité de recommandations nutritionnelles dans le cadre de la prévention des cancers». Ce rapport précise les niveaux de preuve scientifique établis pour différents facteurs nutritionnels pouvant intervenir dans la prévention des cancers, et formule plusieurs recommandations. Il met en évidence qu'il n'existe pas d'aliment ou de nutriment « anticancer » en soi.

Le cancer est un problème majeur de santé publique avec une augmentation régulière du nombre de nouveaux cas chaque année (360 000 nouveaux cas en 2010 en France). D'après le fonds international de recherche contre le cancer (WCRF) et l'American Institute for Cancer Research (AICR), de l'ordre d'un tiers des cancers les plus communs pourraient être évités dans les pays industrialisés (dont la France) grâce à la prévention nutritionnelle.

Pour évaluer la légitimité de la prévention nutritionnelle des cancers et émettre des recommandations, l'Anses a décidé de réaliser une expertise collective sur le sujet. Elle a constitué un groupe d'experts pluridisciplinaire, qui s'est réuni durant quatre ans et a tenu compte le plus largement possible des études disponibles au plan international : expérimentations in vitro, études chez l'animal et données épidémiologiques et cliniques chez l'homme, méta-analyses, évaluations internationales. Le groupe d'experts a soumis son rapport d'expertise en juin 2010 au comité d'experts spécialisé de l'Anses qui l'a validé.

Ce travail met en évidence qu'il n'existe pas d'aliment ou de nutriment « anticancer » en soi. Ainsi la consommation d'un aliment, d'un nutriment ou d'un complément alimentaire en particulier n'est pas suffisante, à elle seule, pour prévenir l'apparition d'un cancer, surtout lorsque l'alimentation dans son ensemble est déséquilibrée. D'une façon générale, pour réduire les risques d'excès ou de déficits en aliments ou nutriments, et prévenir ainsi le risque de cancer, il convient d'avoir une alimentation équilibrée et diversifiée avec un apport calorique adapté aux dépenses énergétiques jointe à une activité physique régulière, et permettant d'atteindre les apports nutritionnels conseillés.

Ce rapport rejoint dans ce cadre les conclusions des travaux internationaux menés sur cette question. Il rappelle que les cancers sont des maladies complexes résultant de l'interaction d'un grand nombre de facteurs de nature génétique, propre à chaque individu ; comportementaux (tabagisme, pratique d'une activité physique, …) ; ou encore de nature environnementale au sens large, y compris l'alimentation.

Un rapport qui conforte les recommandations actuelles

Les facteurs nutritionnels influant sur le risque de cancer peuvent avoir différents mode d'action :

  • un effet direct de l'alimentation via des apports excédentaires ou insuffisants de nutriments ou d'aliments
  • un effet indirect de l'alimentation qui via le développement d'un surpoids voire de l'obésité, induit des perturbations de l'organisme (notamment hormonales).
  • un effet indirect de l'exercice physique qui joue sur le statut hormonal et favorise l'équilibre énergétique

Le travail d'expertise scientifique identifie huit facteurs nutritionnels ayant un effet convaincant ou probable sur le risque de cancer, faisant l'objet de recommandations nutritionnelles, qui sont pertinents pour la population française. En regard de chacun de ces facteurs, l'Anses a analysé plusieurs critères dont l'exposition de la population (habitudes de consommation alimentaire, prévalence du surpoids et de l'obésité, de l'inactivité physique…) et la fréquence des cancers associés en France.

L'Anses rappelle ainsi qu'il est recommandé de limiter la consommation d'aliments à forte densité énergétique car ils favorisent le risque de surpoids. De plus, la consommation des boissons alcoolisées doit être réduite et les consommations de viandes rouges, de charcuteries, de sel et d'aliments salés, impliquées dans l'apparition de certains cancers, doivent être limitées. A ce titre, il convient de rappeler que l'apport moyen en sel (8,5 g par jour pour un adulte) reste trop élevé en France, même s'il a baissé ces dernières années.

Il est par ailleurs recommandé de privilégier la consommation de fruits et légumes qui contribuent fortement à la couverture des besoins en vitamines, minéraux et fibres (après les produits céréaliers), et à diminuer la densité énergétique du régime alimentaire. Or, les apports moyens en fibres en France (18 g/j) restent sensiblement en dessous des apports nutritionnels conseillés (30 g/j pour un adulte).

Enfin, les compléments alimentaires à base de bêta-carotène ne doivent pas être consommés par les fumeurs chez qui ils augmentent le risque de cancer du poumon

Enfin, pour les femmes qui le peuvent et qui le souhaitent, il est également conseillé d'allaiter de manière exclusive jusqu'à l'âge de 6 mois compte tenu des bénéfices que cela apporte à l'enfant et à la mère. Enfin, une activité physique, de même intensité qu'une marche rapide, d'au moins 30 minutes par jour et 5 jours par semaine permet de limiter la prise de poids et le risque d'apparition d'un cancer.

Ce travail conforte ainsi les préconisations existantes (PNNS, plan cancer) en faveur d'une alimentation variée et qui prônent la mesure vis-à-vis de certains aliments. Ces recommandations sont cohérentes avec celles formulées dans les campagnes nutritionnelles plus générales qui visent notamment la prévention du surpoids et de l'obésité et des maladies cardiovasculaires.

Afin de consolider les connaissances actuelles et de combler certains manques identifiés lors de ce travail, l'Anses fait également une série de recommandations en matière de recherche.

Source : Anses

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