Bestiaire du Japon : Poisson-chat

Une estampe namazu-e vendue après le séisme qui ébranla Edo (aujourd’hui Tokyo) en 1855. Le dieu Kashima Daimyojin a posé une pierre sacrée kaname-ishi sur la tête du facétieux poisson-chat pour le faire tenir tranquille et ne plus déclencher de séismes. Propriété de l’Institut de Recherches Sismologiques de l’Université de Tokyo.

にっぽん動物誌
ナマズ
1855年の江戸地震で売られた鯰絵(なまずえ)。地震が起きないように、鹿島大明神(かしまだいみょうじん)が、霊力のある要石(かなめいし)で地震ナマズを押さえている(東京大学地震研究所蔵)


Poisson-chat et tremblements
de terre : faits et folklore

Texte : Ito Kazuaki, ancien commentateur de la Japan Broadcasting Corporation (NHK)


Femelle du silure de la variété biwa-ko o-namazu pouvant atteindre le mètre. Le silure, ou poisson-chat, est très répandu dans le monde, on en compte treize variétés seulement au Japon. Le silure se nourrit de poissons au cours de son activité nocturne et n’a pas d’écailles. Il arbore deux ou quatre paires de barbillons autour de la bouche. (Photo : Uchiyama Ryu)

Jadis, au Japon, les gens évoquaient l’existence d’un poisson-chat géant lové au plus profond du sous-sol nippon, qui, chaque fois qu’il se remuait, provoquait un tremblement de terre. Cette superstition demeura longtemps vivace, nous n’en voulons pour preuve que la riche variété d’estampes namazu-e (estampe reproduisant un poisson-chat) vendues après chaque séisme majeur de la dernière partie de l’époque d’Edo (XVIIIe et première moitié du XIXe siècle), toutes évocatrices d’une quelconque causalité entre le poisson-chat et l’activité sismique secouant l’Archipel.
L’on pourrait s’interroger sur la genèse de ce couple singulier poisson-chat, tremblement de terre, et comment elle se trouvait exprimée.
Le plus ancien des écrits connus liant l’existence du poisson-chat au tremblement de terre est une lettre de Toyotomi Hideyoshi (1536-1598), le grand unificateur du Japon. Vers la fin de sa vie, il décida de se bâtir un château dans le quartier de Fushimi, dans la ville de Kyoto, qui soit bien sûr protégé des séismes. Dans une missive adressée au Bailli en charge de l’administration et de la police de Kyoto, il lui enjoint ceci : « Veillez surtout à ce qu’aucune mesure contre le poisson-chat ne se trouve négligée dans l’édification de notre château de Fushimi. » Le choix des mots indique bien que déjà en 1592, année de la rédaction de la missive, on faisait déjà un rapport entre l’activité sismique et le poisson-chat.
L’immortel poète Matsuo Basho (1644-1694) évoque un semblable rapport. Les strophes suivantes apparaissent dans son Edo Sangin, publié en 1678 :
O-jishin tsuzuite ryu-ya noboru ran.
Takejujo-no namazu narikeri.
La première ligne étant un court poème de Jishun, disciple de Basho, se plaisant à attribuer les grands séismes aux ébrouements sauvages d’un puissant dragon se tortillant pour se frayer un chemin jusqu’à nous depuis les ténébreuses entrailles de la terre. À quoi Tosei (surnom de Basho) réplique plaisamment, et c’est là la deuxième ligne : « Il doit s’agir plutôt des frétillements d’un poisson-chat géant. »
De nombreuses estampes illustrant cette connexion curieuse furent imprimées dans le milieu du XIXe siècle. Après un violent séisme qui ébranla Edo en 1855, tous les artistes graveurs publièrent de deux à trois cents estampes différentes de namazu-e, tantôt satiriques, tantôt humoristiques. Certaines s’excusaient au nom du poisson-chat incriminé, d’autres se vendaient comme des talismans pour protéger l’acquéreur de ses prochaines occurrences, certaines encore louaient le poisson-chat facétieux d’avoir recours au séisme pour changer le monde en mieux.
Cette association avec le tremblement de terre commença probablement il y a très, très longtemps. En fait dès que des gens eurent remarqué le comportement insolite du poisson-chat avant un séisme. Par exemple, un journal intitulé Ansei Kenbunshi mentionne que peu avant le Séisme d’Edo de 1855, les poissons-chats furent pris d’une activité fébrile autant qu’étrange.
On retrouve également mention d’un homme qui, parti taquiner l’anguille de rivière, ne put pêcher que des poissons-chats. Se souvenant du dicton voulant que lorsque le poisson-chat devenait bizarre, il fallait s’attendre à un tremblement de terre, il courut au logis afin de parer à la catastrophe imminente. Et effectivement, cette nuit-là, un séisme majeur ébranla la région.
Quelques jours avant l’effroyable Séisme de Tokyo de 1923, l’on put voir des poissons-chats faire des sauts de… carpe dans l’étang de Mukojima. Et le jour précédant la catastrophe, l’on rapporta de nombreux comportements aberrants de poissons-chats à la surface d’un étang de Kugenuma, dans la Préfecture voisine de Kanagawa. Ils avaient perdu la raison au point que l’on pouvait les attraper à la main et qu’on en remplit trois grands seaux.
Tous ces faits ne laissant pas d’intriguer les personnes savantes, elles eurent l’idée d’élever des poissons-chats pour tenter d’inférer les séismes de l’observation de leur comportement.
Si l’idée était bonne, on n’a toujours pas dégagé de preuve scientifique du rapport du comportement du poisson-chat et du séisme. Personne n’ignore que ce poisson se vautre généralement dans la vase des étangs, les lacs boueux et peu profonds. Il se pourrait donc que cette position pût le rendre plus réceptif aux très légers changements dans les courants électriques générés souterrainement avant un séisme. Ce qui pourrait expliquer cette soudaine explosion d’activité à la surface des eaux, mais c’est tout ce que les scientifiques ont pu conjecturer pour le moment.
Le poisson-chat n’est toutefois pas la seule créature dont le comportement étrange a été signalé au moment d’un tremblement de terre. Mais quelles que soient les découvertes qui se feront à l’avenir, il reste fort peu probable que le poisson-chat soit un jour reconnu comme le baromètre le plus sûr de toute activité sismique à venir.
Source : Nipponia

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