Gestion des pêcheries : Que les fonctionnaires se désintoxiquent de la «juvénilomanie»….

« Que les fonctionnaires se désintoxiquent de la «juvénilomanie» et s’intéressent à une exploitation équilibrée de toutes les classes d’âges que le système actuel des quotas ne permet pas. » 

C’est la conclusion d’un article : Juvéniles ou géniteurs... ? que vient de publier l’halieute français Jean-Michel le Ry.

Qui n’a pas lu au moins une fois dans sa vie de pêcheur à pied ou de promeneur des bords de mer, cette instruction placée sur un panneau d’informations en haut d’une plage : Respectons la taille minimale. C'est garantir l'avenir des espèces....

Protéger les juvéniles à tout prix...

Tous les jours, les marins-pêcheurs sont confrontés à cette réglementation. La taille minimale des espèces détermine le maillage des filets et des casiers, le lieu de pêche, l’époque de pêche,.... Presque toutes les espèces ont maintenant leur taille sur une liste officielle qui s’est allongée avec le temps, ou plutôt avec la diminution des captures. Elle fait partie d’un arsenal de mesures qui a de plus en plus complexifié la pratique de la pêche notamment dans les pêcheries multi-spécifiques ; les pêcheurs doivent «jongler» entre la taille minimale, le quota disponible, la date d’ouverture et de fermeture, etc, etc …. fixés pour chacune des espèces ciblées.

Les prises interdites sont inévitables, mais comme les gendarmes veillent au grain, tous les poissons hors taille, hors quota ou hors saison sont balancés par-dessus bord : les fameux rejets. Objet en décembre 2008 d’une tractation entre la Commission Européenne et les associations environnementalistes, qui impose aux pêcheurs l’objectif irréaliste de tendre le plus rapidement possible vers des rejets nuls.

Actuellement, la plupart des mesures de gestion se basent sur le principe que les juvéniles ont une place plus importante dans le déroulement des cycles biologiques que les reproducteurs. Echec après échec, personne ne semble remettre en cause ce postulat en Europe alors que des études récentes et des pratiques traditionnelles démontrent le contraire.

... mène à l'effondrement des stocks selon Kristjansson, Sugika et Venturelli

Trois études viennent d'être publiées presque simultanément, 3 chercheurs de trois régions différentes et la même conclusion : Protéger les juvéniles mène à l'effondrement des stocks.

Jon Kristjansson, le chercheur islandais écrit : « Je suis toujours d’avis que l’effondrement et les résultats négatifs dans la restauration des stocks de cabillaud sont le résultat d’une réduction de la pression de la pêche et de la pêche sélective visant à protéger les juvéniles. Le facteur commun à la plupart des stocks gérés (de cette façon) est que le poisson est affamé, la croissance est lente, la taille à maturité décroît et les gros poissons disparaissent du stock. Ils demandent plus de nourriture que les petits, ils maigrissent et disparaissent. » (Source : Pêche et Développement)

Le Professeur Sugika de l’Université de Californie, arrive à la même conclusion : « La pêche, normalement, capture les individus les plus vieux, les plus gros des espèces cibles et les règlements imposent souvent des tailles minimales pour protéger les individus les plus jeunes et les plus petits. Ce type de réglementation est tout à fait erroné… »

Les chercheurs de l'Université de Toronto, dirigés par Paul Venturelli, ont analysé les captures de 25 espèces et ils ont déterminé l'impact de la politique de gestion "capturer les plus gros" la plus commune dans les pêcheries. Leur conclusion est : « Cette politique ne mène pas à une pêche durable. En fait, la politique de gestion opposée "capturer les plus jeunes et protéger les plus vieux" irait dans le sens d'une gestion durable des pêcheries». L'équipe des scientifiques qui a utilisé un modèle démographique simple, a aussi tenu compte d'autres facteurs comme l'effet de climat. L'étude est publiée à la Royal Society B. (Source : Science Daily)

Le bon sens du pêcheur

Jean-Michel le Ry se rappelle une discussion, sur le port de Sfax, dans les années 80, avec un vieux pêcheur artisan tunisien. « Il débarquait des paniers complets de petits rougets mesurant de 5 à 10 cm, pêchés au filet maillant. (NB la taille minimum imposée en France est de 15cm.). Encore « bon élève halieute », à l’époque, je lui fis un discours orthodoxe sur la « destruction des juvéniles » avant leur maturité sexuelle, la « fauche du blé en herbe », etc. etc. Il me répondit fort poliment et fort posément que les eaux du Golfe de Gabès étaient peu profondes et assez pauvres, qu’elles ne pouvaient donc nourrir des nuées de juvéniles affamés pour les conduire à l’âge adulte».
Pour conclure, il me dit : « si tu veux continuer à manger des rougets de belle taille en Tunisie, il vaut mieux que je continue à pêcher la majorité des juvéniles qui sont là ».

Philippe FAVRELIERE

Voir l'article complet de Jean-Michel le Ry : Juvéniles ou Géniteurs… ?

Information ajoutée le 24 juillet 2009 : Un chercheur confirme....

La biomasse marine augmente avec la mortalité des jeunes espèces (BE) 
Quand une espèce de poissons est victime de la pêche ou d'autres animaux, son nombre certe diminue mais cela signifie également que la concurrence entre les poissons restants, pour trouver de la nourriture, devient moindre. On pourrait ainsi penser que la diminution du nombre de jeunes et petits poissons devrait permettre aux autres de trouver plus facilement de la nourriture et de pouvoir devenir des poissons adultes, plus gros et plus résistants. Ces poissons restants produiront de nouveaux jeunes poissons en plus grand nombre de telle sorte à plus que compenser la mortalité précédente. Le professeur De Roos de l'université d'Amsterdam, qui a mené des recherches sur ce sujet, conclut donc qu'une pêche sélective de jeunes espèces de poissons mène à terme à un accroissement du nombre de petits poissons.

Ces résultats prouvent une nouvelle fois la complexité des cycles de vie marins et qu'y interférer peut provoquer des résultats non-prévus. Cette découverte a également des conséquences importantes sur la gestion durable des océans. Ce type de compensation accrue pourrait ainsi permettre d'éviter l'utilisation de réserves marines comme sources de jeunes espèces.

Autre article :
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Le 20 septembre 2011

Protéger les femelles adultes pour reconstituer la ressource !


Carl Gustaf Lundin, biologiste marin de l’UICN (*), nous dit qu’il ne faut pas capturer systématiquement les plus gros spécimens de poisson et en particulier les femelles pour sauvegarder la ressource…


« Presque tous les poissons les plus gros, c’est-à-dire commercialisables, sont en train de disparaître », explique Carl Lundin, biologiste marin qui dirige le Programme mondial milieu marin de l’UICN. Or, il est important de préserver les femelles de grosse taille, en particulier pour la morue, car leur rôle est crucial pour reconstituer les stocks. 


(*) UICN, Union internationale pour la conservation de la nature

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Mars 2012

Pêche équilibrée. L’UICN propose de repenser la gestion de la pêche

Contrairement à la vision conventionnelle de la pêche sélective, qui s'attache à prélever uniquement les plus grands individus de certaines espèces et à limiter les prises accessoires et les rejets, la pêche équilibrée vise à ce que les prélèvements par la pêche reflètent les proportions naturellement présentes dans l'écosystème, en diversité de tailles comme d'espèces.

Un régime équilibré : l’UICN propose de repenser la gestion de la pêche

Une étude de l’UICN publiée en mars 2012 dans le journal Science propose de repenser la gestion de la pêche de façon à améliorer la sécurité alimentaire et réduire les effets négatifs de la pêche sur l’environnement.

La nouvelle approche, présentée par un groupe de spécialistes de l’environnement et de la pêche, membres de la Commission sur la gestion des écosystèmes (CGE) de l’UICN, change complètement le cap en matière de gestion de la pêche.

« Pendant des siècles, on a cru qu’une pêche sélective qui évite les jeunes poissons et les espèces rares et emblématiques et préfère les individus plus âgés et de grande taille permet d’accroître les captures et de réduire les impacts sur l’environnement, » dit François Simard, conseiller principal de l’UICN pour la pêche. « Mais en fait les individus plus âgés ont un fort potentiel de reproduction et leur capture altère la structure et le fonctionnement de l’environnement. Elle peut aussi avoir des effets secondaires graves sur le plan de l’évolution et de l’écologie.»

Dans la partie est du plateau néo-écossais, par exemple, la pêche sélective classique a modifié la structure de la chaîne alimentaire du milieu marin et, en Mer du Nord, on observe une proportion croissante d’espèces de plus petite taille.

La nouvelle approche proposée par l’UICN, appelée « prélèvement équilibré », cible toutes les composantes comestibles du milieu marin, de façon proportionnelle à leur productivité.

En effet, lorsque la pêche cible une plus grande diversité d’espèces et de tailles, la capacité de production de l’écosystème est pleinement utilisée. Cette approche améliore la sécurité alimentaire en préservant le potentiel des ressources marines, tout en minimisant les effets négatifs des pêcheries sur l’environnement. Nécessitant une réduction de l’exploitation des stocks de poissons, elle change radicalement notre mode actuel de gestion de la pêche, qui vise la pleine exploitation des populations prises individuellement et entraîne souvent leur surexploitation.

« Le prélèvement équilibré est un mode de pêche sélectif mais, conformément à l’approche axée sur l’écosystème adoptée par la Convention sur la diversité biologique et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il s’agit d’une sélectivité entendue dans une perspective bien plus large que celle utilisée jusqu’à présent, » explique Serge M. Garcia, président du Groupe de spécialistes de la pêche de la CGE de l’UICN. « Au lieu de viser exclusivement l’optimisation des captures d’un certain nombre d’espèces cibles et de tailles sélectionnées, elle a pour but de préserver la structure et la productivité de l’ensemble de l’écosystème ».

Le document est fondé sur une étude comparative de plusieurs types de sélectivité, en utilisant 36 modèles d’écosystèmes différents. Quelques exemples de modes de pêche se rapprochant du prélèvement équilibré ont aussi été trouvés en Afrique, dans des pêcheries artisanales des eaux intérieures du continent.

« Cette nouvelle démarche en matière de pêche peut paraître utopique, car la capacité humaine de gestion des écosystèmes est limitée », dit Jeppe Kolding, membre du Groupe de spécialistes de la pêche. « Mais il s’agit d’une utopie qui permet de mobiliser les énergies dans le bon sens. Nous avons maintenant suffisamment d’éléments qui démontrent que cette nouvelle approche peut accroître considérablement la durabilité de la pêche, réduire son impact sur les écosystèmes et améliorer l’environnement marin aussi bien que la sécurité alimentaire ».

Des questions liées à la gestion de la pêche seront examinées de façon plus approfondie pendant le Congrès mondial de la nature de l’UICN, qui se tiendra à Jeju, République de Corée, du 5 au 15 septembre 2012. Source : IUCN

Rapport (en anglais) : Selective Fishing and Balanced Harvest in Relation to Fisheries and Ecosystem Sustainability
S. M. Garcia, (Ed.)
IUCN, Gland, Switzerland
2011 International Union for Conservation of Nature and Natural Resources
Report of a scientific workshop organized by the IUCN-CEM Fisheries Expert Group (FEG) and the European Bureau for Conservation and Development (EBCD) in Nagoya (Japan), 14–16 October 2010.
Téléchargement, cliquer IUCN

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Réflexion autour du concept de "pêche équilibrée"

Un collectif international de scientifiques propose un nouveau regard sur la sélectivité de la pêche. Leurs travaux, menés autour du concept d'une « pêche équilibrée », constituent une réflexion pour une meilleure prise en compte de la biodiversité et des écosystèmes dans la gestion des pêches.

Un nouveau paradigme par rapport à la « pêche sélective » conventionnelle...

« Dans le monde, la gestion des pêches a beaucoup misé, outre les quantités pêchées, sur l'augmentation de la sélectivité : on cible les espèces d'intérêt commercial, et en jouant sur l'engin ou sur la taille des mailles du filet, on sélectionne les plus grands individus pour permettre la croissance des jeunes et les laisser participer à la reproduction. Or, cette pêche sélective ne s'intéresse qu'au contenu du filet et à sa valeur potentielle. L'idée développée dans l'article, c'est de rapporter les captures dans une zone donnée à ce qui est « au fond » : la composition de l'écosystème marin », explique Marie-Joëlle Rochet, chercheur halieute à l'Ifremer : « On passe alors d'un point de vue économique et utilitaire, à un point de vue écologique ».

Contrairement à la vision conventionnelle de la pêche sélective, qui s'attache à prélever uniquement les plus grands individus de certaines espèces et à limiter les prises accessoires et les rejets, la pêche équilibrée vise à ce que les prélèvements par la pêche reflètent les proportions naturellement présentes dans l'écosystème, en diversité de tailles comme d'espèces.

... mais une vision commune : l'exploitation modérée des ressources

Plusieurs résultats scientifiques pour argumenter sur les nombreux avantages d'une pêche équilibrée, pour autant qu'elle reste raisonnable. Cette pêche maintiendrait suffisamment d'adultes, indispensables pour la reproduction et pour assurer les générations suivantes ; elle conserverait les proportions naturelles des populations au sein de l'écosystème et elle perturberait moins la chaîne alimentaire que la pêche sélective conventionnelle. Les auteurs indiquent aussi qu'elle pourrait contribuer à la sécurité alimentaire en permettant des productions totales plus élevées pour le même niveau d'impact écologique.

Les nuances existent et sont complexes. La pêche équilibrée est sélective puisqu'elle ne consiste pas à prélever indifféremment n'importe quel organisme. Mais cette sélectivité se place dans une nouvelle perspective, plus écosystémique. « Nous prônons dans tous les cas une pêche modérée, nécessaire à la restauration de l'écosystème et de ses communautés. Si de plus, elle est équilibrée, cela pourrait faciliter cette restauration et permettre des rendements durables plus élevés... », explique Marie-Joëlle Rochet.

Une approche en synergie avec les accords internationaux

La route à parcourir est encore longue avant de définir concrètement une gestion des pêches basée sur cette nouvelle approche. Cela nécessiterait notamment une reconsidération des rejets, puisqu'ils n'auraient plus le statut de nuisance mais deviendraient partie intégrante de la stratégie de gestion. En parallèle, une évolution des modes de consommation occidentaux devrait également s'opérer, car une gestion basée sur la pêche équilibrée impliquerait d'utiliser des espèces dédaignées actuellement par les consommateurs.

Cette approche entre en résonance avec les récents accords et conventions internationales qui préconisent la restauration des stocks de poissons et des écosystèmes marins. Ainsi, la sélectivité devrait être prise en compte dans les stratégies de reconstruction des stocks à un niveau durable préconisé par les accords des Nations Unies à Johannesburg en 2002. Cette réflexion menée par les scientifiques du monde entier accompagne une prise de conscience internationale de l'importance de considérer les effets des pratiques humaines sur les écosystèmes et la biodiversité, en vue de diminuer les impacts de nos activités.

Le fruit d'échanges à Nagoya

Une étude a consisté à comparer, grâce au développement d'un modèle mathématique, les effets de pêches sélectives à ceux de pêches moins sélectives mais de même intensité, sur les tailles des individus d'un écosystème. Le modèle a montré que la pêche déstabilise le système, qui est stable en l'absence de pêche : par le jeu des relations prédateur-proie, la biomasse totale oscille (augmente puis diminue sans cesse au cours du temps). A un instant donné, la biomasse disponible peut être, soit faible, soit moyenne, soit élevée, mais l'équilibre n'est jamais atteint. Plus la pêche est sélective, plus les oscillations sont amples.

Un modèle plus complexe décrivant aussi la diversité des espèces avait permis de montrer que pour un rendement donné, exploiter de façon sélective une gamme réduite d'espèces ou de tailles, affecte toujours davantage la biodiversité qu'une exploitation moins sélective. Source : Communiqué de presse de l'Ifremer du 8 mars 2012

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