Changement climatique : avenir sombre pour les poissons migrateurs

En Europe, la plupart des espèces de poissons migrateurs effectuant leur cycle entre la mer et la rivière sont aujourd’hui en danger. Si des programmes de restauration sont mis en place, la distribution future de ces espèces pourrait être amenée à varier du fait du changement climatique. Au Cemagref à Bordeaux, les scientifiques ont établi des modèles biogéographiques pour prévoir leur répartition à l’horizon 2100…

Les poissons migrateurs ont la particularité d’utiliser à la fois le milieu marin et les eaux douces pour accomplir leur cycle de vie. Ceci leur a permis depuis la dernière glaciation, il y a 18 000 ans, de coloniser progressivement l’ensemble de l’Europe. Or, la surpêche, les aménagements des cours d’eau, les pollutions, etc. ont contribué à la régression des populations de ces poissons migrateurs et la plupart des espèces sont aujourd’hui en danger. De plus, elles doivent faire face au réchauffement climatique global, déjà mis en cause dans la raréfaction de certaines espèces, tel celle de l’éperlan observée depuis plusieurs années dans les parties les plus méridionales de leur aire de distribution. Afin d’identifier les espèces susceptibles d’être les plus affectées par ce changement climatique, une simulation de leur distribution géographique future, intégrant l’élévation de la température et les changements de précipitations, a été réalisée dans le cadre d’une thèse menée au Cemagref à Bordeaux

Un modèle historique de distribution des espèces

Dans un premier temps, les chercheurs ont réalisé l’inventaire des espèces de poissons migrateurs sur l’ensemble de l’Europe, le Moyen Orient et l’Afrique du Nord. Cette large échelle géographique a permis de couvrir la quasi-totalité de l’aire géographique de chacune des 28 espèces européennes recensées. De quelle façon la température limite l’aire de distribution de ces espèces ? Pour répondre à cette question, 200 bassins versants ont été étudiés afin de connaître la distribution de chaque espèce en termes de présence-absence et d’abondance. L’étude a établi un modèle de distribution pour chaque espèce à une époque où l’homme exerçait peu de pressions sur les milieux. Les années 1900 ont été choisies comme époque de référence. Plus de 400 références bibliographiques ont été analysées et les listes réalisées ont été complétées par les laboratoires partenaires du réseau européen Diadfish[1]. Outre la température de l’air, quatre autres facteurs connus pour influencer la distribution des poissons d’eau douce ont été retenus : la longitude à l’embouchure du bassin versant, la superficie du bassin versant, l’altitude à la source et les précipitations.

Quel avenir pour les poissons migrateurs en 2100 ?

L’étape suivante a consisté à appliquer ces modèles de distribution dans un contexte de changement climatique, en utilisant les quatre scénarios climatiques de référence développés par le Groupement d’Experts Intergouvernementaux sur l’Evolution du Climat (GIEC, 2000). L’échéance de l’étude a été fixée à l’année 2100 afin d’avoir suffisamment de recul pour mesurer une évolution significative des populations de poissons. De plus, cette durée correspond à l’ordre de grandeur pour la plupart des plans de restauration réalisés avec succès pour les poissons migrateurs. Sur la base d’une élévation de température comprise entre 1 et 7°C, la réponse des espèces peut être classée en trois catégories : celle contractant leur aire de distribution, celles étendant leur aire de distribution et celles montrant peu ou pas de changements de distribution.
De cette étude, il ressort que pour la plupart des espèces, la situation va se dégrader. Ainsi par exemple, l’éperlan ou l’omble arctique vont perdre environ 90 % de bassins versants favorables pour des gains réduits ou nuls. Seuls deux espèces, le mulet porc et l’alose feinte, pourront s’étendre vers le nord, au-delà de leur aire de répartition initiale. Enfin, conformément aux prévisions, les bassins versants du sud risquent de perdre la plupart de leurs espèces. Serait-ce une opportunité pour des poissons migrateurs plus exotiques ? Les chercheurs sont très réservés, voire pessimistes, à ce propos, car peu de ces espèces longent les côtes de l’ouest africain faute de cours d’eau permanents pour les héberger.
L’urgence passe donc par la restauration des milieux et des populations. Les modèles prédictifs établis dans le cadre de ces travaux sont des outils pertinents pour établir des programmes de conservation à long terme aux différentes échelles d’action.
Source : Cemagref

[1] Réseau créé en 2001, rassemblant des instituts de recherche européens spécialisés sur les poissons migrateurs.

Crédit photographique : E.Rochard

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