Islande et Féroé : QIT et pas QIT

Deux modèles de gestion opposés, l’un marche et l’autre pas
«Je suis toujours d’avis que l’effondrement et les résultats négatifs dans la restauration des stocks de morue sont le résultat d’une réduction de la pression de la pêche et de la pêche sélective visant à protéger les «juvéniles». Le facteur commun à la plupart des stocks gérés est que le poisson est affamé, la croissance est lente, la taille à maturité décroît et les gros poissons disparaissent du stock. Ils demandent plus de nourriture que les petits, ils maigrissent et disparaissent.»
Jon Kristjansson - en introduction à son intervention à Peterhead en février 2006.http://www.fiski.com/
«L’instauration de la politique des QIT a eu l’effet d’une bombe»
«La première politique islandaise des quotas de pêche a vu le jour en 1983 et était supposée être une mesure temporaire dont l’objectif était le renouvellement de stocks de poisson estimés en grave récession. Le gouvernement islandais, seul maître d’œuvre d’une politique basée sur des expertises biologiques et des modèles économétriques, a décidé de reconduire les quotas pour finalement déclarer leur permanence nécessaire au renouvellement des ressources. En 1991, afin de « dégraisser la flotte » et de régler des problèmes persistants de surcapacité, le Ministère des Pêches a décidé de mettre au point un système de quotas de pêche cessibles, divisibles et transférables. Les ressources marines étaient privatisées : de nombreux pêcheurs déclarent qu’ « il est devenu possible de vendre le poisson non encore pêché » et « d’en faire commerce. » Depuis plus de vingt ans d’application d’un régime de gestion des ressources particulièrement instable, de nature profondément expérimentale et dont les résultats se sont avérés peu satisfaisants sur les plans écologiques, économiques et sociaux, les propriétaires d’embarcations n’ont eu de cesse de composer avec les mesures gouvernementales. Ils ont anticipé les effets de celles-ci en apportant des réponses qui ont parfois surpris et compliqué la tâche des politiques du Ministère des Pêches.»
«Il n’y a rien de plus immoral que les QIT»
«Les pêcheurs ne savent pas si les politiques du gouvernement vont ou non être reconduites. Ils n'ont aucune visibilité à long terme. "Ils ont les pieds dans le vide".Actuellement, les grosses compagnies rachètent les quotas de la petite flotte un peu partout en Islande et créent leur propre flotte de petites embarcations avec des pêcheurs qui travaillent pour eux.De plus en plus, les propriétaires d'embarcations vendent leurs quotas, d'une part parce que les quotas augmentent et qu'ils se font ainsi un capital, d'autre part à cause des dettes accumulées. Chaque année les TACs diminuent et les entreprises sont de moins en moins rentables, cela devient intenable. Enfin, les pêcheurs ont l'habitude de travailler ensemble sur les zones de pêche, en mer ils sont toujours pendus au téléphone. Quand ils se retrouvent seuls sur la zone de pêche parce que les autres ont vendu et sont partis, ils n'ont plus leurs repères.La politique des quotas a généré de nombreuses transformations. Les QIT ont accentué l'exode vers les villes et la désertification des villages. Ils ont détruit les liens qui existaient à l'intérieur des villages à force de compétition. Ils ont donné naissance à une classe de rentiers (suite à la vente de quotas) qui s'est enrichie sur le dos de "nos poissons". Les Islandais disent qu'ils en sont arrivés à vendre le poisson qui est encore dans la mer. C'est une privatisation déguisée de la ressource. Il faut pêcher le quota avant de pouvoir pêcher le poisson, c'est tout un monde financier à appréhender.»
Emilie Mariat-Roy, «Les mardis de la Thalassa», Lorient, 9/09/2008
Islandais, Jon Kristjansson n’a jamais pu se faire entendre dans son pays, mais les îles voisines des Féroé ont fait appel à lui quand elles ont eu à faire face à un effondrement des captures de morues de 88 à 95. Cet effondrement correspond à la mise en oeuvre d’une gestion par TAC et quotas. Jon Kristjansson conseille l’abandon de ce système pour une gestion basée sur des jours de mer et des mesures de gestion territoriale (restriction des zones chalutables, etc...). Aucun quota n’est fixé, les mesures sont ajustées en permanence en fonction de l’évolution des débarquements. Il n’y a pas d’interdiction de pêcher la morue si elle est peu abondante alors que l’églefin abonde. Pour Jon Kristjansson et son ami Menakhem Ben-Yami, ce qui est déterminant, ce n’est pas le nombre de géniteurs, mais l’alimentation disponible. La poursuite de la pêche à l’églefin, comme de morues juvéniles, permet de réserver plus de nourriture aux juvéniles survivants. Ceci leur permet de grossir plus vite, d’être plus gros lorsqu’ils atteignent la maturité sexuelle et donc d’être de meilleurs géniteurs. La sélectivité à outrance et la surprotection des juvéniles a deux défauts majeurs. Elle cible la pêche sur les gros sujets, éliminant les meilleurs géniteurs, elle protège des juvéniles qui se concurrencent pour la nourriture disponible et s’affaiblissent. Il faut donc renoncer à établir des quotas dans ce cas, ils sont contreproductifs.
Ben-Yami et Kristjansson ne manquent pas d’arguments et la réussite de la gestion de la morue et de la pêche aux Féroé témoigne en leur faveur. Ils ont appliqué leurs analyses à la mer du Nord et à la mer d’Irlande où ils ont constaté les mêmes effets désastreux de la gestion par TAC et quotas. Un rapport récent publié par l’Université de Californie en avril 2008 vient conforter leur analyse : «La pêche, normalement, capture les individus les plus vieux, les plus gros des espèces cibles et les règlements imposent souvent des tailles minimales pour protéger les individus les plus jeunes et les plus petits. Ce type de réglementation est tout à fait erroné.» Pr. Sugika (FN, 25 avril 2008).
Les pêcheurs français, actuellement contraints de rejeter les jeunes morues qu’ils pêchent en abondance, peuvent être intéressés par ces approches apparemment peu orthodoxes mais tout à fait scientifiques.
Alain Le Sann et Fanny Brun (Collectif pêche et Développement)

Pour plus d'informations : Islande

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