Fadel el Nawbi, pêcheur yéménite de 27 ans, avait juré de ne plus retourner naviguer dans les eaux somaliennes ; et pourtant, dès son retour à Mukalla (à 750 kilomètres au sud de Sanaa), après une nouvelle expédition de pêche, il s’est mis à repenser à l’alternative qui s’offre à lui : rester sans travail ou repartir en mer pêcher dans les eaux potentiellement dangereuses de la région somalienne autonome du Puntland. « Pendant quatre ans, les sorties en mer m’ont mené dans différentes villes somaliennes. Atteindre les eaux somaliennes peut prendre jusqu’à trois jours, en fonction de l’état de la mer. Nous accostons dans des villes côtières comme Bosasso [le principal port du Puntland] pour nous ravitailler en nourriture, en glace [pour la conservation du poisson] et en carburant », a-t-il expliqué. Les sorties en mer ne sont pas faciles et on doit s’attendre au pire à tout moment, a-t-il ajouté. « Les pirates somaliens, les fortes tempêtes et les raz-de-marée peuvent faire tressaillir même les personnes les plus téméraires ». Les pêcheurs yéménites et leurs homologues somaliens de la région du Puntland ont conclu une sorte d’accord officieux : Les Yéménites envoient leurs bateaux en Somalie, recrutent des Somaliens qui pêchent pour eux et leur revendent le produit de leur pêche, ou alors ils ont l’autorisation de pêcher dans les eaux somaliennes et paient en contrepartie une forte redevance. Dans ce cas, le ministère de la Pêche du Puntland délivre une licence de pêche aux pêcheurs yéménites et met à leur disposition un agent de sécurité armé, présent à bord du bateau.
Pour obtenir une licence de pêche, les propriétaires des bateaux yéménites doivent au préalable verser 1 000 dollars américains aux autorités du Puntland par l’intermédiaire d’un agent en poste à Mukalla, dans le sud du Yémen. Munis de cette autorisation, les pêcheurs yéménites peuvent pêcher librement dans les eaux territoriales du Puntland. L’agent somalien paie 300 dollars à l’agent de sécurité embauché. Lorsque les pêcheurs yéménites choisissent d’acheter les prises des Somaliens – ayant affrété des bateaux de pêche yéménites -, ils doivent payer 1 200 dollars (1 000 dollars pour la licence de pêche et 200 dollars pour les taxes). En général, le poisson pêché par chaque bateau peut être vendu jusqu’à 10 000 dollars au Yémen.
Les dangers de la mer
A en croire les pêcheurs yéménites, divers dangers les guettent quand ils sont en mer et naviguent vers la Somalie. « Lorsque les pirates somaliens voient nos bateaux, ils nous barrent la route et exigent que nous leur donnions du carburant et de la nourriture. Ce sont des gens qui ont faim. Parfois, ils nous prennent en otage et demandent une rançon de 20 000 dollars avant de nous relâcher. Nous sommes impuissants face à cette situation. Nous ne pouvons pas leur donner de l’argent, puisque nous n’en avons pas sur nous. Nous contactons alors l’agent par radio et lui expliquons notre mésaventure avec ses concitoyens. L’agent négocie avec les pirates, puis nous sommes libérés quelques instants plus tard – en général, après avoir été dépossédés de nos biens, injuriés et intimidés », a expliqué M. el Nawbi. Un de ses amis a été abattu récemment alors qu’il était poursuivi par des pirates somaliens. M. el Nawbi et ses amis ne perçoivent pas de gros salaires, mais pour eux, la pêche dans les eaux somaliennes est le seul moyen de gagner leur vie. « Les propriétaires de bateaux nous paient environ 150 dollars pour chaque expédition en mer. Lorsqu’il y a une bonne prise [une cargaison de poissons tout juste pêchée par les Somaliens et prête à être vendue], nous la prenons et la ramenons. Mais lorsqu’il n’y a pas de poisson, nous sommes obligés d’attendre que les pêcheurs somaliens nous ramènent des poissons », a-t-il dit. Les autorités du Puntland se sont plaintes des activités des navires de pêche illégaux venant du Yémen et de leur responsabilité dans l’épuisement des stocks de poissons dans les eaux somaliennes. Les Yéménites reconnaissent que bon nombre de leurs compatriotes participent au pillage des ressources halieutiques de la région du Puntland, ce qui leur coûte souvent cher. « Un jour, des amis yéménites sont allés pêcher là-bas et ont réalisé des prises d’une valeur de 5 000 dollars. Les pêcheurs somaliens ont saisi tous leurs poissons », a expliqué M. el Nawbi.
Quant aux propriétaires de bateaux d’Hadhramaut, ils gagnent des millions de rials en vendant les prises sur le marché yéménite. Omar Gamim, responsable de l’union des coopératives de pêche (UCP) de Mukalla, une association regroupant les pêcheurs installés le long des 360 kilomètres de littoral de Hadhramaut, conseille aux pêcheurs de ne pas prendre la mer seuls pour pêcher dans les eaux somaliennes : « Les pêcheurs devraient partir en mer en groupes ». D’après les statistiques de l’UCP, il y aurait environ 12 197 pêcheurs à Hadhramaut et 4 611 bateaux ou navires de pêche. Quelque 3 860 familles vivraient des revenus de la pêche. L’âge des pêcheurs serait compris entre 16 et 40 ans. Le volume total des prises en 2005 était estimé à 63 000 tonnes, et l’année dernière, il était passé à 470 000 tonnes, selon l’UCP.
Source : IRIN
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