Salmonicultures Sans Frontières

Réaction à l'article du journal "Le Marin", paru le 14 novembre 2008 : "Norvège : quand l'élevage vient au secours du saumon sauvage".

Quel beau coup de pub pour le saumon de Norvège. Les vikings savent bien soigner l'image de leur produit phare pour sécuriser le consommateur français avant la campagne de Noël ! La France n'est-elle pas la principale destination du saumon norvégien (113 000 tonnes) pour un marché de 375 millions d'euros.

Le lecteur a besoin de connaitre aussi l'envers du décor. Derrière les belles images : l'envol du saumon sur fond de fjord paradisiaque, se cache une autre réalité. La salmoniculture n'est pas une activité primaire comme les autres. En réalisant un publi-reportage pour le saumon norvégien, on promotionne indirectement un certain modèle de développement de plus en plus contesté au niveau international.

Salmonicultures intégrées, concentrées et mondialisées

Derrière les fermiers décrits et nommés dans le reportage se cachent de véritables aquabusinessmen qui dirigent des sociétés, des multinationales cotées à la bourse d'Oslo et sa "succursale" de Santiago du Chili. Le chiffre d'affaires de ces "fermes" se chiffre en centaines de millions de dollars. Marine Harvest, le plus grand éleveur de "poulets de la mer" qui emploie près de 9000 personnes dans le monde, côtoie la barre des deux milliards de dollars !!!

Peut-on encore qualifier de "fermier" et de "ferme" les dirigeants et les sociétés qui produisent des salmonidés à l'échelle industrielle et ce aux quatre coins du monde ? Que les saumons viennent d'Ecosse, du Canada, d'Irlande, du Chili ou de Norvège, que les saumons soient certifiés ou non (label Rouge / biologique), ils sont issus pour près de la moitié du pré carré chiléno-norvégien, le club des producteurs de plus de 100 000 tonnes annuelles : Marine Harvest, Cermaq, Aquachile, Leroy/Austevoll. La société Salmar support de l'article est d'une taille plus modeste ; elle emploie tout de même plus de 500 personnes et elle produit près de 70 000 tonnes de saumon réparties entre ses sites d'élevage de Norvège et d'Ecosse.

En octobre dernier, la FAO a indiqué que l'aquaculture devra faire face à de nouveaux défis pour être à la hauteur de son potentiel ; cette organisation internationale s'inquiète en particulier de la dépendance accrue des espèces carnivores (saumon et aussi crevette) à l'égard de la farine et l'huile de poisson (pour une production mondiale de 1,5 millions de tonnes de saumon, il est nécessaire de sacrifier près de 9 millions de tonnes de poissons sauvages !) et elle émet des réserves par rapport au modèle de développement.

La concentration des fermes salmonicoles aux mains de quelques multinationales verticalement intégrées est en effet une source d'inquiétude. Les bénéfices des filiales de ces groupes norvégiens ne sont pas injectées dans les économies locales. De plus, la salmoniculture intensive a des conséquences sociales, environnementales et économiques souvent désastreuses dans les régions de production.

Une vie d'ouvrier piscicole pas du tout rose !

Le Chili est le deuxième producteur mondial de saumon d’élevage. Bien que le saumon ne soit pas une espèce endémique de l’hémisphère Sud, le Chili présente des caractéristiques géographiques et océanographiques idéales pour le développement salmonicole. Les multinationales norvégiennes (Marine Harvest et CERMAQ) ainsi que des sociétés de pêche (comme le groupe espagnol Pescanova) ont très vite compris l’intérêt d’investir au Chili. Près de 2500 km de côtes quasiment vierges, main d’œuvre bon marché et abondance de farine et d’huile de poisson (le Chili est le 2ième pays minotier après le Pérou). Profitant du système libéral en vigueur, ces groupes misent sur un avenir prometteur du saumon, en demandant des centaines d’hectares de concessions d’élevage sur tout le littoral de la Pantagonie chilienne.

Devant l’avancée irrésistible de la salmoniculture vers le Sud, la population de la région la plus australe de Magallanes s’inquiète et n’est pas prête à accepter une activité aussi polluante dans une zone qui aspire à devenir un « centre mondial pour le tourisme d’excellence ». Le nombre des demandes de licences d'élevage dans cette zone dépasse le nombre des licences octroyé actuellement dans tout le pays (1083 contre 1041). Au début de l'année 2008, les agences de tourisme associées aux organisations de la pêche artisanale ont demandé au gouvernement chilien d’établir un moratoire à la salmoniculture. L’économiste Vera Guisti de l’Université du Chili, explique que les indicateurs socio-économiques de cette région sont meilleurs que partout ailleurs dans le pays, et qu’elle n’a pas besoin de cette industrie caractérisée par son dumping social. En mai 2008, la multinationale norvégienne CERMAQ est passée devant le tribunal permanent des peuples de Lima (Pérou) pour atteintes aux droits du travail et de l’environnement.

Situation comparative entre des ouvriers piscicoles chiliens et norvégiens travaillant dans le même groupe norvégien en 2002

Avec la crise du Virus ISA qui provoque depuis le début de l'année un arrêt dans le développement et surtout des mortalités importantes dans les élevages, de nombreux ouvriers piscicoles ont été licenciés ces derniers mois. Toute la filière chilienne est en crise. On estime à plus de 5000, le nombre des personnes mis sur le carreau ! Ce qui explique le vent de fronde contre ce type d'aquaculture.

Moratoire et manifeste contre la salmoniculture industrielle

Campagne pour un moratoire sur la salmoniculture au Chili. Campagne pour interdire la salmoniculture en milieu ouvert en Colombie Britannique (Canada). Manifeste remis au directeur de la FAO. L'association norvégienne "Green Warriors" s'est associée à cette campagne mondiale contre la salmoniculture industrielle qui vise tout particulièrement les deux grandes multinationales norvégiennes (Marine Harvest et Cermaq).


Déclaration internationale contre la salmoniculture industrielle
Nous sommes des défenseurs de l'environnement mondial, des peuples indigènes (ou Premières Nations), des scientifiques, des agences de tourisme, des pêcheurs et des femmes qui luttons pour sauver nos côtes. Nous avons inspecté les élevages de saumons et nous avons tenu des réunions au Chili, au Canada et en Norvège. Nous pouvons en conclure que l'élevage du saumon en mer ouverte a des conséquences très graves sur les océans du monde.

En particulier, l'élevage de saumon est :

  • 1. Ecologiquement destructeur : (a) disparition du saumon sauvage dans l'hémisphère Nord par la modification des écosystèmes, (b) priver les espèces sauvages comme les ours, les aigles et les baleines ainsi que les communautés littorales de l'une des principales sources de nourriture, (c) développement des maladies virales et des poux de mer, et (d) développement de la pollution génétique,

  • 2. Socialement destructeur : (1) non respect des règles de sécurité et infractions aux droits du travail au Chili, (2) menaces sur les économies locales, (3) dégradation des ressources alimentaires traditionnelles, (4) non respect des droits des Peuples Premiers du Canada, des pêcheurs artisanaux du Chili et de Norvège, et des pêcheurs Sami,

  • 3. une menace pour la sécurité alimentaire locale avec le rejet de produits chimiques, de matières fécales et d'aliments piscicoles dans le milieu aquatique : (1) produits chimiques anti-salissures, (2) antibiotiques, (3) colorants, (4) des tonnes d'azote et de phosphore favorisant le développement d'algues toxiques,

  • 4. une menace pour l'approvisionnement alimentaire mondial avec le développement d'une pêcherie minotière en Atlantique Nord et dans le Pacifique Sud afin de produire des aliments pour nourrir les espèces aquacoles, il en résulte une perte nette de poisson disponible pour nourrir la population, tout en perturbant la chaîne alimentaire marine.

Nous avons constaté que les sociétés salmonicoles, en grande partie norvégiennes, nient l'impact et cachent la vérité au grand public dans tous nos pays. Nous avons constaté que les gouvernements sont complices de l'industrie de l'élevage de poissons en retardant la protection des ressources halieutiques et en cachant la réalité à savoir que les saumons d'élevage "tuent" les saumons sauvages et menacent les autres espèces indigènes.
Le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO, adopté en 1995 stipule que «En tant que principal objectif, le développement de l'aquaculture doit conserver la diversité génétique et il doit minimiser les effets négatifs des poissons d'élevage sur les populations sauvages, tout en augmentant l'approvisionnement en poisson pour la consommation humaine." Nous déclarons que chacun de ces principes sont violés dans le monde aujourd'hui, par l'élevage du saumon. Les écosystèmes océaniques sont essentiels à la vie sur terre.
Nous demandons un moratoire mondial à la salmoniculture en mer ouverte et un arrêt immédiat de la destruction des ressources océaniques par la salmoniculture. Nous invitons tout le monde à signer cette déclaration
http://www.ourglobalocean.org/. Nous avons l'intention d'empêcher que cette activité continue de dévaster nos océans.

Quand les organisations de pêcheurs viennent au secours des saumons sauvages

De nombreuses études montrent que les élevages de saumons en transmettant des maladies (poux, virus ISA,...) dans le milieu naturel, mettent en péril les saumons sauvages. Dans le pays pionnier de la salmoniculture, les organisations de pêcheurs se battent depuis les années 80 pour sauver le saumon sauvage en dénonçant comme "Norwegian Salmon association" les pollutions génétique et infectieuse liées aux individus qui s'échappent par dizaine de milliers des cages d'élevage. En Ecosse, les pêcheurs viennent de se réunir pour la première fois afin de mettre en place un plan de sauvegarde de l'espèce sauvage ; la pêche étroitement liée au développement touristique génèrerait plus de 150 millions d'euros pour près de 3000 emplois, des gains bien plus importants pour l'économie locale que la salmoniculture écossaise maintenant contrôlée par les groupes norvégiens.

Carte de la production de saumon sauvage (bleu) et d'élevage (rose)


Au niveau mondial, les captures de saumons sauvages sont conséquentes ; elles représentent près du tiers de la production totale. Cette activité est de toute première importance pour les communautés de pêcheurs en Alaska, au Canada, en Russie et au Japon. Les nippons ont développé une activité très intéressante beaucoup moins polluante que l'élevage en cages, le "sea ranching" ou le repeuplement des mers à partir d'écloseries gérées par des coopératives de pêcheurs. Les jeunes saumons (smolts) qui sont lâchés dans les rivières, prennent la direction de l'océan. Les pêcheurs les captureront plus tard quand ils reviendront sur leur lieu de naissance dans l'intention de se reproduire.

Pourquoi n'avoir pas choisi cette voie de développement, cette alternative qui concilie pêche et aquaculture, peut reconcilier pêcheurs et aquaculteurs ?

Philippe FAVRELIERE

Pour plus d'informations :

Pour plus d'informations sur l'histoire du développement de la salmoniculture dans le monde voir le document de TRAFFIC : The world salmon farming industry

Carte : Cité-Sciences

Photographie : salmoniculture chilienne dans la région de Puerto Montt

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