Tribune

Née étrangère, étrangère tu resteras !

Deux "étrangères", une veuve et une orpheline, travaillent dans un kiosque (Ces deux étrangères auraient pu être des vendeuses de poissons)

Quand une étrangère devient orpheline...
Quand une étrangère devient veuve... 

Texte de Maurice Oudet, Président du SEDELAN       
                       
Il y a quelque jour un jeune homme m'a salué, puis, tout souriant, il me dit que sa femme a accouché le matin. Voulant savoir si le nouveau-né était un garçon ou une fille, j'ai demandé en moore, la langue du papa (la langue des mossis) : « Yaa tõndo, bi yaa sãana? ».

Expression favorite des vieux qui peut se traduire littéralement par « c'est nous (tõndo), ou c'est une étrangère (sãana) ? ». Il m'a répondu : « Yaa sãana. » Donc « c'est une étrangère », c'est à dire « c'est une fille ». La réponse « yaa tõndo », devant se comprendre par « c'est un garçon », puisqu'il s'agit d'une conversation entre deux hommes. Quand je m'initiais à la langue moore, cette expression m'a fait sourire. Qu'une fille soit appelée « étrangère » dès sa naissance, parce qu'elle va se marier et donc quitter sa famille pour rejoindre la famille de son mari, m'avait fait sourire. Aujourd'hui, je ne souris plus.

En effet, derrière cette question de vocabulaire se cache une réalité intraitable ! Aujourd'hui, plus qu'autrefois, et en ville, plus qu'au village, cette réalité est parfois redoutable, notamment pour les orphelines et les veuves. Je rencontre de nombreuses filles, jeunes filles ou femmes qui n'ont pas été scolarisées. Le plus souvent, ces filles ou ces femmes ont perdu leur père dès leur jeune âge. D'autres ont quitté l'école ou le collège prématurément. Je leur demande pourquoi elles n'ont pas poursuivi leur scolarité. Presque toujours elles me disent que c'est par manque de moyens financiers au décès du papa.

Que devient la jeune fille, après son mariage ? Peut-elle espérer ne plus être une étrangère ? Pas d'espoir du côté de la famille du mari. Le jour de son mariage, la jeune fille ne va pas fonder une nouvelle famille avec son mari ; elle quitte sa famille pour rejoindre la famille du mari, et faire prospérer la famille de son mari. Elle est devenue « étrangère » dans la famille de son mari.

Tant que le mari est vivant, cela ne porte pas toujours à conséquences, notamment quand les deux époux s'entendent bien. Mais à la mort du mari, la situation de la femme et des enfants basculent souvent dans la misère ou la grande pauvreté. Or l'espérance de vie d'un homme est de l'ordre de 50 ans. Il n'est pas rare, à Koudougou, qu'au décès du mari, la femme reste « seule » avec des enfants qui poursuivent leurs études au lycée et au collège.

Prenons le cas d'une veuve qui se retrouve « seule » avec quatre enfants, deux garçons et deux filles, tous élèves au lycée ou au collège. La femme va se démener pour nourrir ses quatres enfants, mais le plus souvent elle est incapable d'assurer la scolarité de ses enfants. Parfois la famille du mari se chargera de payer les frais de scolarité des garçons. Mais pour les filles c'est très rare. La famille du mari fera comprendre que les filles sont des étrangères, le plus souvent déjà en âge de se marier (la plupart des filles qui sont en troisième ou au delà ont au moins 17 ans). La scolarité des filles s'arrêtera avec le décès du papa. Les plus courageuses s'inscriront à un « cours du soir », moins onéreux, mais avec peu de chance de réussite.

Parfois, la situation est encore plus dramatique. Quand la maison, où logeait le mari avec sa femme et ses enfants, appartenait au mari (soit qu'il s'agit d'un héritage familial du mari, soit que le mari a pu acquérir une parcelle et y construire sa maison), les frères du mari décédé peuvent faire valoir leurs droits sur la maison, et chasser la femme et les enfants de la maison, pour y installer leur propre famille. La famille ainsi chassée devra chercher une maison à louer. Le loyer pèsera alors sur cette famille déjà démunie. Il n'est pas bon être étrangère dès sa naissance.

J'ai commencé cette lettre en partant d'un exemple vécu par des mossis. Mais les femmes mossis ne sont pas les seules à subir de telles situations.

Koudougou, le 10 août 2015
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

Source :

Née étrangère, étrangère tu resteras !

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L'avatar inquiétant : les Bonnets rouges perturbent le jeu politique

Malgré les nombreux papiers de l'Agence Bretagne Presse (voir webographie), on n'a pas épuisé toutes les façons de commenter l'apparition tonitruante des Bonnets rouges de Bretagne, le 26 octobre 2013 [Voir ABP 31799], d'en évaluer les forces et les faiblesses et, surtout, d'estimer leur capacité à peser sur la politique en Bretagne et en France. Parce qu'ils ne sont pas un parti, nous avons employé les termes de «machine politique en construction».

Source : Agence Bretagne Presse (ABP) par Christian Rogel le 22 mars 2014

Les États-Généraux de Bretagne, qu'ils viennent de tenir à Morlaix, le 8 mars 2014, ont permis de savoir ce qu'ils demandent [Voir ABP 33165]. C'est un programme ambitieux, mais, on se demande comment ils pourront le faire passer dans la réalité. Peu de gens savent comment fonctionnent les Bonnets rouges et s'ils ont une stratégie et une trajectoire identifiées

Leadership et composition sociale

Le fonctionnement des Bonnets rouges est inhabituel :

1 Le «haut» du mouvement est composé, par cooptation, d'environ 40 à 50 personnes réunies dans le «Collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne» qui ne s'est pas déclaré comme association et se réunit à la mairie de Carhaix. Il y a aussi un «Pôle ouvrier», dont les responsables, Corinne Nicole et Olivier Le Bras, ont une expérience de délégués syndicaux.

2 A la base, il y a une soixantaine de «comités locaux des Bonnets rouges» qui sont aussi des associations de fait et qui couvrent toute la Bretagne historique (8 en Loire-Atlantique) ou rassemblent des Bretons expatriés (Île-de-France, Asie du Sud-Est).

On y voit une grande variété d'âges, des professions et des situations sociales et, s'il est souvent écrit que les générations X ou Y (trentenaires et moins) se sentent éloignées de la politique, ce n'est pas le cas ici. Ils apportent la fougue, la familiarité avec l'Internet et ses réseaux sociaux et utilisent le tutoiement, même avec les plus âgés, pratique favorisée par l'ambiance des bars-restaurants où se tiennent souvent les réunions. Des causeries sur des thèmes économiques permettent des échanges d'expérience, comme une amorce d'université populaire.

3 Les leaders répètent que «chacun peut garder ses opinions» et cela est montré par le fait que si Christian Troadec a appelé les Bonnets rouges à manifester contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (21/12/13), le Collectif a tout de suite indiqué que les Bonnets rouges n'ont pas vocation à traiter de ce sujet. Certains y ont vu une tension interne qui n'a même pas existé. Pour être un Bonnet rouge, il n'est rien demandé, ni cotisation, ni même de porter un bonnet ou un drapeau, il suffit d'être d'accord avec les «11 revendications phares». Les autres sujets ne sont pas abordés, et, surtout pas, les élections. Comme on le verra, cette manière de ne pas s'impliquer dans le jeu politique traditionnel est, sans doute, la force des Bonnets rouges, bien que paradoxale.

La Bretagne semble être une entité si vaste qu'aucune liaison «politique» avec l'extérieur ne semble utile et, surtout pas, avec ceux qui ont usurpé le couvre-chef. Hubert Védrine (dans son livre La France au défi) est frappé du manque de confiance des Français en leur destin, mais, chez les Bonnets rouges, la confiance revient, grâce aux visions optimistes pour la Bretagne.

4 Le mouvement n'a pas de finances propres et vit des recettes des stands de restauration des grandes manifestations publiques, la logistique étant fournie par des entreprises sympathisantes et par les bénévoles du Festival des Vieilles Charrues.

Modes d'action

Les actions destructrices, comme les dommages causés aux portiques écotaxe, ont donné du mouvement une image négative, mais, elles n'ont impliqué qu'un petit nombre de personnes très motivées et qui sont engagées depuis plusieurs années (jusqu'à 5 ans) dans la lutte anti-écotaxe, tandis que la majorité n'est pas intéressée par l'affrontement avec les forces de l'ordre, dont les éléments territoriaux (gendarmes, policiers) sont toujours aimablement reçus par temps calme, car, ils sont vus comme des professionnels faisant partie de la Bretagne.

Il y a deux modes d'action principaux : la démonstration, massive ou dispersée sur toute la Bretagne et les assises pour faire savoir les revendications, comme il a été fait aux États-Généraux de Bretagne.

Politique de communication

La publication dans la presse des activités locales dépend, semble-t-il, de l'humeur des rédactions locales des quotidiens régionaux. Ceux-ci sont soupçonnés de préférer une couverture minimale pour ne pas mécontenter leur actionnariat (ou les élus locaux), y compris l'actionnaire clandestin qu'est devenu le gouvernement par d'énormes subventions. Néammoins, la presse régionale a souvent rendu compte des actions et des réunions, de manière objective, sinon pointue.

L'utilisation intensive de l'Internet est un point important, lié à la partie jeune du mouvement, bien que de nombreux quarantenaires et plus sachent bien le manier. Une large panoplie est déployée : site Web officiel, page officielle Facebook, page officielle Google+, groupe de discussion Facebook privé, compte Twitter, pages Facebook des comités locaux, groupes de discussions privés. S'il y a une fracture, elle est entre les utilisateurs de Facebook et ceux qui ne veulent y adhérer à aucun prix et elle est générationnelle. Les messages humoristiques ou satiriques sont très prisés.

La nouveauté tient dans la capacité à faire circuler très rapidement l'information sur les réunions, les prises de positions et les aides personnelles apportées à ceux qui ont été blessés par des engins de la police (grièvement : Mikaël Cueff et Julien B., moins gravement : Lionel G., Wolfgang B.). Les Bonnets rouges peuvent, donc, se mobiliser très rapidement et, si les agriculteurs, les transporteurs et les marins-pêcheurs bougent avec eux, cela fera beaucoup de monde pour des actions sur la voie publique.

A quoi ressemblent les Bonnets rouges ?

Les observateurs cherchent des comparaisons pour décrire un mouvement nouveau et hors-parti. Le plus souvent cité a été le mouvement des «Indignés» qui s'est beaucoup développé en Espagne, mais, seuls, les «Indignés» catalans ont clairement influencé la politique locale, puisque «Candidature pour l'Unité populaire » a obtenu 3 sièges au Parlement de Catalogne. Ils soutiennent le référendum pour l'indépendance au nom du principe d'autodétermination des peuples [Voir ABP 28897]. «Le Parti Pirate en Bretagne», un cousin des «Indignés», a pris une position plutôt amicale pour les Bonnets rouges, refusant l'application de l'écotaxe en Bretagne et demandant plus de régionalisation Voir le site L'utilisation massive d'Internet est aussi un point commun avec ces mouvements qui sont socialement moins diversifiés que les Bonnets rouges. On pourrait aussi rapprocher les modes d'action avec ceux de l'association citoyenne (elle se dit grassroots), l'«Assemblea Nacional Catalana» Voir le site , qui a organisé une chaîne humaine sur 400 km pour soutenir l'idée d'indépendance de la Catalogne [Voir ABP 31405].

Aux jeunes qui refusent l'embrigadement associé aux partis et préfèrent une organisation «horizontale» s'ajoutent les nombreux déçus de la politique, les exaspérés du théâtre politique parisien diffusés par des médias nationaux qui préfèrent la superficialité au débat, les «ni droite-ni gauche», les anciens des organisations bretonnes des années 70-80, dont une partie est encore active dans le mouvement culturel breton. Mais, brandir des drapeaux bretons ne veut nullement dire qu'on veut un changement de statut politique pour la Bretagne, tant c'est devenu banal chez les sportifs et les militaires et même, les manifestants en lutte pour leur emploi. Quelques «cadres» viennent des syndicats ouvriers et, beaucoup, des syndicats des petites entreprises, dont la CGPME et l'OTRE Bretagne (petits transporteurs), ainsi que des syndicats agricoles, même de gauche.

Clivage économie/culture, mais, union contre les élus

Une question se posait jusqu'aux États-Généraux : comment unifier des Bonnets rouges très divers? Cela a été résolu par un dosage de questions économiques et «sociétales», mais, à la sauce bretonne. La base ouvrière de l'Ouest est plus sensible aux questions d'emploi, donc d'économie, tandis que les comités de l'Est le sont aux questions de culture bretonne et soutiennent plus la réunification, surtout en Loire-Atlantique, et le tout est globalement indigeste pour la plupart des élus, de gauche comme de droite, avec l'exception remarquable de Marc Le Fur, député UMP et Bonnet rouge actif et revendiqué. Plusieurs partis, de l'extrême-gauche au centre (NPA, Breizhistance, Parti breton, UDB, Breizh Europa, etc.), affichent leur soutien, mais, sans contacts officiels avec une non-organisation.

Une stratégie implicite, celle de l'avatar inquiétant

Dans le Le Courrier indépendant de Loudéac (28-02-13), un propos de Bonnet rouge résume une idée répandue : «C'est le peuple qui se prend en main, car il a perdu confiance dans ses hommes politiques». La stratégie non-dite est la délégitimation des élus qui se taisent et ceux (la ministre M. Lebranchu et le député PS, P. Noguès) qui tiennent un discours centraliste et d'oppositions de classe jugé antédiluvien, peuvent s'attendre à des ripostes. Les Bonnets rouges sont comme la statue du Commandeur (son avatar) et font dérailler le train-train politique, obligeant la fraction régionaliste du PS à sortir du bois, car, elle a saisi le risque de délégitimation, ce qui vaudrait bien l'Enfer dans lequel ladite statue entraîne Don Juan.

Avenir

Qu'on lui attribue 5 ans du point de vue de l'Histoire ou 18 semaines d'existence publique, le mouvement des Bonnets rouges est bien vivant et semble devoir alterner les actions calmes et visibles, voire sociales et humanitaires, avec d'autres plus fortes. Celles-ci sont promises, si le Grand Élu, François Hollande, continue de ne pas répondre à leurs demandes, car ils l'attendent en Bretagne, avec une menace brandie, celle d'un «printemps radical» (Thierry Merret, à Morlaix, le 8-03-14).
Cependant, si le mouvement est l'une des formations politico-sociales les plus originales qui soit apparues en Bretagne et dans le monde, il n'est pas arrivé à incarner la communauté politique qu'il veut servir, car, celle-ci est encore loin de se considérer comme telle.

Cependant, les exemples de la Crimée, de la Catalogne et de l'Écosse montrent que la météo politique peut être très changeante pour des raisons très différentes.

Notes : Dans la pièce de Molière, la statue du Commandeur (qu'il avait tué) apparaît en silence devant Don Juan comme un avertissement. A la fin, la statue s'anime et entraîne Don Juan en Enfer.

La proposition du député de Quimper, Jean-Jacques Urvoas, de créer une Assemblée de Bretagne est un magnifique exemple de récupération d'une des revendications phares des Bonnets rouges («relocaliser les décisions en Bretagne»). C'est un indice de leur capacité à «faire bouger la Bretagne» (Troadec, 15-03-14). Cette information est à rapprocher de la rumeur qui dit que Jean-Yves Le Drian souhaiterait quitter son ministère pour se présenter aux régionales de 2015 et essayer de redevenir président de la Région Bretagne.

Christian Rogel

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Attention à la destruction de la baie de Lannion


Quand le dernier oiseau de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles, au large de Perros-Guirec (Côtes-d'Armor), disparaîtra-t-il du ciel ? Quand le dernier pêcheur de la baie de Lannion remisera-t-il ses filets ? Quand les plages de sable blanc qui ourlent le littoral du Trégor laisseront-elles place à des grèves de cailloux ? Si le projet de dragage d'un haut fond de sable coquillier situé entre deux zones Natura 2000 censées protéger le site de la baie de Lannion est autorisé par les pouvoirs publics, la réponse est: quelques dizaines d'années tout au plus.

Source : Le Monde par Collectif le 7 octobre 2013

Les habitants de cette extrémité ouest des Côtes-d'Armor et ceux qui, côté Finistère, vivent sur les bords de la baie de Lannion, ce "Peuple des dunes en Trégor", avec ses élus municipaux unanimes, tous s'y opposent.

Les amoureux du Trégor qui viennent de toute la France y passer leurs vacances, les millions de touristes qui arpentent le sentier des douaniers à Ploumanac'h et s'extasient devant les fous de Bassan de l'île Rouzic, personne ne se résigne au désastre environnemental et économique annoncé.

D'une part, la prospérité d'un des pays de la Bretagne Nord, le Trégor, assise sur l'exploitation raisonnée, pêche et tourisme, de son littoral, sur l'agriculture maraîchère et l'élevage, sur les industries nées des télécommunications dont Lannion est devenue la capitale en France. A la grande pauvreté qui a sévi jusqu'au début du XXe siècle a succédé, cent ans plus tard, une réussite régionale exceptionnelle.

D'autre part, le projet de la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), filiale du Groupe Roullier de Saint-Malo : extraire 8 millions de mètres cubes de sable coquillier accumulé par des millénaires de sédimentation et le jeu des courants dans une dune sous-marine située par 35 m de fond à moins de 5 km des côtes, en plein milieu de la baie de Lannion.

Pas de garanties minimales On le sait maintenant : le sable est une ressource finie, non renouvelable à l'échelle humaine. Dragué en mer, il disparaît des rivages. La Californie, la Floride, la Malaisie en sont témoins. Qu'adviendra-t-il de la faune et de la flore, lorsque disparaîtra un maillon de la chaîne alimentaire ? En baie de Lannion, un minuscule poisson, le lançon, qui vit par millions dans des sables légers, tel le sable coquillier des hauts fonds, est le "fourrage" des poissons et des oiseaux marins.

Les hommes, pêcheurs, professionnels du nautisme, du tourisme, vivent eux aussi de cette ressource naturelle. Ils refusent l'extraction prédatrice des sables où elle prend naissance.

Avec le bouleversement des fonds sous-marins, qu'adviendra-t-il lors des grandes tempêtes telle celle du 10mars 2008, dont la côte trégoroise porte les traces ? La faune sera très affectée, voire disparaîtra sur les 4 km² de la zone d'extraction. Mais la turbidité générée par les particules fines remises en suspension et rejetées par le dragage iront se redéposer jusqu'à 100 km2 alentour, dans les zones calmes de Natura 2000 (zone d'intérêt communautaire) du pourtour de la baie menaçant d'autres écosystèmes.

L'enquête publique, appuyée sur une étude d'impact indigente, n'apporte pas les garanties minimales d'une décision rationnelle et démocratique. Elle n'informe ni sur les solutions alternatives de lieu d'extraction ni de matériau, ni sur les effets négatifs du projet. Au nom de 29 emplois annoncés par le Groupe Roullier, les pouvoirs publics peuvent-ils programmer la disparition de centaines d'emplois de la pêche, du nautisme et du tourisme ? Au nom de besoins allégués de sables coquilliers pour amender la terre maraîchère, peut-on détruire la mer ? Il serait tout de même incohérent et irresponsable, de la part des pouvoirs publics, de donner à une entreprise privée l'autorisation de se livrer à une exploitation destructrice de ce milieu naturel à la sauvegarde duquel ils ont puissamment contribué. Nous adjurons le gouvernement de faire prévaloir la sauvegarde d'une région, de sa faune, de sa flore, de ses côtes, de ses habitants, sur les intérêts financiers d'une seule entreprise privée.

Collectif

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Accaparement des mers : le saccage d'un bien commun

Les océans, mers et littoraux ont toujours été les lieux privilégiés de notre imaginaire, de nos cultures et de nos coutumes, de nos économies et de nos styles de vie. Depuis des millénaires, des communautés humaines s'établissent le long des côtes pour exploiter leurs ressources et cette tradition est loin d'être révolue : plus de 60% de la population mondiale vit aujourd'hui dans une zone côtière. De ce fait, la pression exercée sur les ressources naturelles par la pêche, la pollution, le tourisme, l'extraction de ressources et l'exploitation des mers dans son ensemble, augmente elle aussi de manière proportionnelle.

Source : Slow Fish le 26/04/13

De nombreuses communautés côtières du monde entier se retrouvent ainsi prises au piège entre les pressions exercées par les terres et une raréfaction progressive des ressources marines. Face à un contexte mêlant appauvrissement des ressources, demande croissante, conscience environnementale et dynamiques spéculatives autour du bien commun, il est nécessaire de s'interroger sur nos ressources marines et sur les différentes formes d'accaparement qu'elles subissent. Non seulement l'accaparement des mers compromet la sécurité alimentaire des pays en développement, mais la privatisation des ressources marines (une autre forme d'accaparement, malgré son étiquette écologique) nuit à son tour aux petits pêcheurs, aux communautés côtières et à l'écosystème.

Accaparement des mers et sécurité alimentaire

L'accaparement des mers entraine un problème direct de sécurité alimentaire. De vastes flottes étrangères, récoltant massivement les produits de la mer des pays du sud avant de les exporter, ne laissent pas suffisamment de ressources aux petites flottes de pêche locales pour nourrir les populations autochtones, pour qui le poisson est souvent l'une des principales sources de protéines. Selon les mots d'Olivier de Schutter, Rapporteur Spécial des Nations Unies pour le Droit à l'Alimentation, « L'accaparement des mers - sous la forme d'accords d'accès déséquilibrés qui nuisent aux pêcheurs artisanaux, de prises non signalées, d'incursions en eaux protégées et de détournement des ressources au détriment des populations locales - peut s'avérer une menace aussi sérieuse que l'accaparement des terres. » En Afrique, ce détournement de ressources est surtout le fait d'énormes navires battant pavillon européen, chinois ou russe. Même dans le cadre d'activités légales et autorisées, les flottes jouissent de subventions généreuses sans subir directement les coûts engendrés par la surpêche et la dégradation des ressources halieutiques. Dans ces conditions, la pêche prend la forme d'une industrie hautement lucrative menaçant le droit à l'alimentation de millions d'individus.

Les nouvelles règlementations européennes exigeront que les flottes des états membres appliquent à l'étranger les normes prévalant dans les eaux européennes. Par conséquent, celles-ci ne devront pas dépasser les limites du Rendement maximal durable (RMD). La principale difficulté d'application de ces nouvelles règles réside dans l'insuffisance des données nécessaires au calcul du RMD d'un même type de poisson. Et quand bien même ces données seraient disponibles, elles n'empêcheraient pas les grandes flottes de pêcher dans limite du RMD tout en privant les flottes artisanales des prises dont elles ont besoin.

Parallèlement, même si quelques accords commerciaux bilatéraux prévoient l'attribution d'une partie des compensations économiques au développement des infrastructures côtières, et donc au profit des flottes locales, la majorité des accords font l'impasse sur ce point. Il arrive également que les infrastructures mises en place ne servent que les grandes pêcheries industrielles, rendant encore plus difficile l'accès des petits bateaux aux ressources océaniques. « En Mauritanie, les usines chinoises produisant des farines de poisson poussent comme des champignons à un rythme alarmant, » déclare Nedwa Moctar Nech, coordinatrice de la Sentinelle Slow Food de la poutargue de mulet des femmes imraguens. « Ces usines transformeront des tonnes de poissons de tout genre, y compris les juvéniles, pillés dans l'océan.»

Privatisation de la pêche

Les implications à grande échelle de la privatisation

Vers un modèle différent

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De quoi les marées vertes sont-elles le message ?

Source : Blog de Paul Jorion par Jean-François Le Bitoux (juillet 2013)

Étiologie des marées vertes bretonnes, réinterprétation du rôle des nitrates. Pourquoi remettre en question un consensus mou, largement partagé faute d’hypothèse de travail plus solide ?

L’impression première est que tout un chacun peut avoir accès sans effort aux arcanes de la biologie. L’objectif de cette contribution est de montrer que cette impression est fausse. Pour le chercheur, faire le tri dans toutes les données d’observation est un exercice d’une grande difficulté. Les difficultés sont telles que les plus grands peuvent déraper. La simplification à outrance de concepts biologiques complexes souvent transmis sous cette forme aux médias peut avoir des conséquences dommageables.

Hervé Le Guyader dans « La complexité de la biologie à l’aune du langage naturel », Partager la science. L’illettrisme scientifique en question (Actes Sud/IHEST, 2013), p. 135

Un rapport officiel sur l’étiologie des marées vertes constate que les nitrates d’origine agricole sont la cause essentielle des marées vertes en Bretagne : Bilan des connaissances scientifiques sur les causes de prolifération des macro-algues vertes – Application à la situation de la Bretagne et propositions (2012), 147 pages.

Ce rapport est une synthèse de documents plus anciens ; il a pour but de clore toute controverse sur le thème et de justifier une politique visant à limiter les apports d’engrais dans les bassins versants limitrophes.

Ce faisant, le problème devrait se résoudre de lui-même et Gaïa et ses océans devraient récupérer leur capacité naturelle d’autoépuration ; dans 15 ou 20 ans ? Rien n’est moins sûr car d’autres catastrophes plus conséquentes auront probablement remplacé ces marées vertes si on n’a pas appris auparavant à corriger certaines impasses écologiques que nous construisons au quotidien et dont les marées vertes ne sont qu’un exemple somme toute mineur – si l’on observe ce qui se passe sur certaines plages chinoises cet été 2013.

Mettre en exergue le rôle des nitrates a l’avantage d’être acceptable sans explication scientifique approfondie et de désigner des coupables : des éleveurs et des agriculteurs qui jonglent chaque jour avec des paramètres administratifs et techniques de plus en plus compliqués et parfois contradictoires. Cette conclusion évite de s’attaquer aux causes métaboliques des pathologies.

Le rapport recommande à la page 3 de : « Restructurer le débat de société en mobilisant des compétences en sciences économiques et en sociologie afin de construire une acculturation suffisante des acteurs locaux, de développer une adaptation des techniques agricoles et de mettre en place les outils d’une bonne gouvernance ». Il invite les agriculteurs à mieux « Partager la science », (Ed. Actes Sud/ IHEST, 2013) selon le beau titre d’un livre d’actualité, sous-titré : « L’illettrisme scientifique en question ». Les scientifiques, auteurs du rapport sur les marées vertes ne se trompent-ils pas de « Science » ? Ne pourraient-ils pas à leur tour « construire une acculturation suffisante » à l’écoute des acteurs locaux afin d’approfondir leurs connaissances de la biologie aquatique et des pathologies qui s’y développent ?

Pêcheurs et ostréiculteurs évoquent depuis des années une baisse générale de la qualité des eaux côtières, sans pouvoir le démontrer « quantitativement ». Les auteurs du rapport reconnaissent d’ailleurs leur incompétence à répondre à de telles questions, p. 11 : « L’influence des pollutions chroniques sur les biocénoses littorales est globalement très mal cernée ». Suivre la biodiversité d’un site est une manière d’apprécier la qualité du fonctionnement d’un écosystème. Réciproquement observer une perte de biodiversité sur des espaces connus, c’est y constater des dysfonctionnements. Pêcheurs et ostréiculteurs ne disent pas autre chose et nous devons les écouter.

Au cours des 30 dernières années, les aquaculteurs marins d’Amérique Latine ont progressivement appris à gérer et à prévenir des proliférations d’algues rouges ou bleues qui menaçaient leurs productions. Prendre en compte leur expérience doit permettre d’analyser et de comprendre ce qui se déroule sur nos côtes et l’adaptation de leur savoir-faire doit faciliter le développement de techniques écologiques efficaces pour prévenir l’ensemble de ces phénomènes, si un jour l’Etat s’en donne la peine.

En France, chacun doit avoir conscience que toute intervention sur le Domaine Public Maritime (DPM) relève de l’Etat et tout y est a priori interdit avant d’y être éventuellement toléré voire autorisé. C’est un lieu riche de contradictions administratives qui participent à entretenir la confusion.

Limiter l’étiologie des marées vertes au rôle des nitrates, c’est passer à côté d’autres situations préoccupantes (proliférations d’algues toxiques, mortalités ostréicoles) dont l’étiologie et l’épidémiologie sont similaires et dont les traitements le seront également. En travaillant sérieusement sur les unes, on apprendra à traiter les autres et développer localement des solutions ayant déjà fait leurs preuves ailleurs, depuis des années. Suite sur le Blog de Paul Jorion

Pourquoi cette réflexion sur le Blog de Paul Jorion ?

Ausculter un écosystème connu

Une marée verte est toujours une pathologie locale !

Quelques propositions curatives et préventives

Une grille de lecture réactualisée : pour quel message ?
Le réel, c’est quand ça fait mal

Conclusion : De quoi les marées vertes sont-elles le message ?

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Alerte : une réforme sous influence

Nul ne nie la nécessité d’une réforme de la Politique Commune de la Pêche (PCP), ni d’un débat sur cette réforme, associant l’ensemble des citoyens et donc des ONG. Cependant, le projet de réforme porté par Maria Damanaki est profondément marqué par l’influence du modèle américain essentiellement libéral et conservationniste. Pour faire passer ce modèle en Europe et dans le monde entier, de puissantes fondations ont engagé un lobbying forcené, utilisant avec l’appui de leur argent tous les relais possibles pour influencer le grand public et les décideurs : scientifiques, journalistes, ONG environnementalistes. 

Le vocabulaire devient un enjeu de communication manipulé par des agences de lobbying. Ainsi, la surpêche, qui est souvent réelle, mais complexe, est présentée comme une donnée catastrophique généralisée. Les droits de pêche, qui peuvent aussi correspondre à des droits humains (au travail, à la sécurité des moyens de subsistance), deviennent des droits marchands. La nécessaire protection des océans devient la préservation de l’intégrité des océans au prix de l’exclusion des pêcheurs, et la pêche est chargée de tous les maux. La pêche artisanale est réduite à la petite pêche côtière, alors qu’elle a la possibilité de s’exercer sur la majeure partie des zones de pêche. La défense de cette petite pêche par les ONG se traduit aux États-Unis, mais aussi en Europe et ailleurs, par la mise sous tutelle de ces pêcheurs. En permanence, l’information sur la pêche, qui devrait vulgariser un domaine d’une grande complexité, se transforme en stratégie de communication avec des slogans très simplistes. Par exemple, la campagne de « fish fight » contre les rejets est profondément réductrice de la complexité du sujet. Une partie des rejets est due à des pratiques de pêche, et il faut travailler à leur réduction, mais une autre partie est liée à la politique de gestion par les quotas. Que penser par ailleurs d’une campagne anti-chalut qui associe ce dernier à l’explosion d’une bombe atomique sur le fond des océans ?

Le but de ces campagnes est de choquer systématiquement le public pour mener à des solutions simplistes qui ont toujours des effets pervers et aggravent les problèmes qu’elles sont censées résoudre. 

Les ONG, comme les scientifiques, ont un rôle d’alerte à jouer pour attirer l’attention sur des problèmes, mais ce n’est pas à eux de mettre pour autant les pêcheurs sous tutelle. Le travail en commun avec les pêcheurs, leur accompagnement pour résoudre les problèmes, ne sont possibles que sur la base d’une confiance mutuelle. Assez de « com » et de « pensée unique », de l’information, du débat contradictoire, de la transparence !

Alain Le Sann

Pour aller plus loin, cliquer Blue Charity Business

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Les pêcheurs et l’écologie
 
Les pêcheurs et l’écologie 

Alain Le Sann - Avril 2012

Collectif Pêche et Développement

Depuis près de 20 ans, suite à l’effondrement des stocks de morue au large du Canada, de puissantes ONG environnementalistes (ONGE), s’appuyant sur de richissimes fondations comme Pew ou Packard qui financent des scientifiques et des campagnes médiatiques, ne cessent d’annoncer l’effondrement des ressources, la destruction des océans. Elles se font les missionnaires d’une religion largement répandue outre-Atlantique, celle de la préservation de l’intégrité des écosystèmes océaniques, dans la pure tradition américaine de la défense d’une nature vierge de toute intervention humaine. Elles ont leurs litanies, 80 à 90% des stocks sont surexploités et la pêche est la principale responsable des menaces sur les océans. Elles ont aussi leurs totems comme les dauphins ou les requins et leur Satan, le chalut ou la drague, bulldozers qui ravagent les fonds des mers. Ces campagnes sont bien sûr appuyées sur des réalités, la surpêche et l’effondrement de plusieurs stocks ou des pratiques irresponsables ; elles ont aussi le mérite de donner l’alerte sur des réalités incontournables. Cependant ces ONGE focalisent leurs analyses sur une seule cause majeure de la crise des océans et de ses ressources : la pêche. Ainsi, en 20 ans, pour le grand public, la responsabilité des problèmes est passée de la pollution et du pétrole aux seuls pêcheurs. De ce fait, le terrain a été dégagé pour lever les obstacles au développement rapide des gisements de pétrole off-shore. Ils ont aussi totalement négligé les phénomènes de variation naturelle de l’environnement marin qui ont un impact considérable sur l’état des stocks de poisson….

I. De la surpêche à la sous-pêche
II. La pêche n’est pas seule responsable de l’état des stocks
III. Des scientifiques qui se remettent en cause
IV. La pêche, une activité parmi les plus durables
V. Il n’y a pas crise de la ressource mais crise de la gouvernance des pêches

Texte intégral sur L'Encre de Mer